21/ Lit

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     Elle essuya ses larmes avec sa main sale. Elle essayait depuis de longues minutes de se calmer, mais les larmes coulaient toutes seules sur ses joues maigres, et la vision de cette esclave égorgée la hantait d'avantage à chaque instant. Elle se recroquevilla sur le sol de la cabine du capitaine et laissa échapper sa tristesse pendant un moment. Elle fut prise ensuite d'un violent excès de rage, devant l'injustice qu'était sa vie, et la vie de ses camarades. Elle eut envie de briser un carreau, de déchirer la carte qui trônait au centre de la table en bois, de s'ouvrir les veines avec ce satané compas... Pourtant, elle finit par se calmer. Elle était si fatiguée. Elle regarda le lit douillet qui lui tendait les bras à quelques centimètres d'elle, puis la vision de son maitre prit place dans son esprit et elle se releva avec panique pour s'éloigner le plus possible de ce lit.

     Elle prit un chiffon sans entrain, et se mit à astiquer les différentes étagères qui comblaient la petite pièce. Elle ne voulait pas mourir. Elle voulait se sauver, partir avec une barque, regagner la terre ferme, trouver un travail, devenir indépendante, fonder un village dans les montagnes, en recrutant des gens qui ne seraient que comme elle, des esclaves, des exclus de la société, des prostituées, et elle les ferait travailler pour elle.

     Elle sursauta en entendant la porte de la cabine s'ouvrir lentement. Elle resta focalisée sur la mappemonde qu'elle était en train de dépoussiérer, ne souhaitant même pas se retourner pour savoir qui venait d'entrer. Elle chassa toutes ses pensées de son esprit, comme si elle avait peur qu'on ne puisse lire dedans. Elle su bien assez vite qui était dans cette pièce avec elle, lorsqu'elle sentit de grandes mains dans son dos, se poser sur ses hanches.

     — Alors comme ça, on nous espionne maintenant.

     Elle se tendit en sentant la barbe du capitaine se frotter contre sa nuque.

     — Je t'ai vu déguerpir quand on a jeté la petite esclave à la mer. Apparemment, elle était odieuse et peu agréable. Ce n'est pas une grosse perte. Alors que toi...

     Il la força à se retourner pour lui faire face, et aperçu ses yeux brillant de larmes. Il sourit, révélant une dentition des plus horribles, et passa ses doigts sur les joues de sa captive pour en chasser les larmes.

     — Toi tu vaux beaucoup plus que les autres. Tu es à moi, et il ne t'arrivera rien je te le promets.

     Sa dernière violente colère semblait s'être dissipée, ce qui n'arrangeait en rien la pauvre esclave qui dû supporter de sentir les mains du capitaine se balader inlassablement et avec envie sur son corps frêle. Elle ferma les yeux et se pinça les lèvres en priant pour que tout se termine vite. Pourtant ce n'était que le début.

     Elle vit ensuite le lit se rapprocher, et pour la première fois, elle ouvrit la bouche pour faire entendre sa voix claire appeler à l'aide. Il la poussa en avant, et elle tenta de résister, bien que ce fût inutile, en hurlant et en le suppliant de la laisser partir. Il ne semblait pas prêt à renoncer, alors elle s'acharna à essayer de s'enfuir, tout en hurlant des « non ! » suppliants.

     C'était son tour, elle savait qu'elle passerait par là. Elles étaient déjà toutes passées par là. Elle se sentit soudainement plus faible que jamais, et évita de trop souffrir, en se laissant manipuler comme la vulgaire poupée de chiffon qu'elle était.



     Lorsqu'elle mit enfin le nez dehors, il faisait nuit. Elle se sentait détruite, et s'appuya contre la paroi du bateau, pour regarder la mer. La lune se reflétait sur cette eau sombre et la fit scintiller. Un dauphin passa au loin, et s'éloigna du bateau immobile, libre et gracieux. Une larme coula sur sa joue pour finir sa course le long de son menton et s'écraser sur la barrière de bois sur laquelle elle avait appuyé ses mains. Son estomac se tordit alors subitement et elle se pencha en avant pour se vider les tripes dans la mer. Jamais elle n'avait connu une journée aussi atroce.

     Elle sentit une présence à côté d'elle, mais ne broncha pas. Tout son corps semblait être à l'arrêt. Elle n'avait plus envie de vivre. Elle vit la main d'homme se poser sur la barrière, et se redressa lorsqu'elle comprit qu'elle appartenait à Gonza, son sauveur à la peau sombre.

     — Tu devrais dormir, dit-il de sa voix grave, demain tu reprendras tes besognes.

     Elle secoua la tête. Elle n'avait aucune envie d'aller se coucher. Il ne lui laissa pourtant pas le choix. Passant subitement ses mains dans son dos et derrière ses genoux, il a transporta à l'arrière du navire. La respiration de la jeune femme s'accéléra. Elle se sentait si mal dans les bras de cet homme. Elle se débâtit faiblement pour qu'il la repose, mais il ne le fit pas, et se contenta de la rassurer :

     — Ne t'en fais pas, je ne te ferai rien.

     Elle ferma les yeux et se laissa balloter dans les bras du matelot. Elle fut sur le point de s'endormir lorsqu'il la déposa dans un coin abrité du vent, et qu'il la recouvrit d'une chaude couverture dont elle n'avait pas eu accès depuis très longtemps.


     

     Gonza s'éloigna lorsque l'esclave dormit à poing fermés. Il ne savait pas pourquoi il montrait tant de compassion à son égard, et pas envers les autres. Celle-ci dégageait quelque chose de spécial. Elle était belle aussi, très belle, avec un caractère peu commun pour une catin. Il avait l'impression qu'elle pourrait accomplir de grandes choses si elle était libre. Et il comptait bien la guider et la protéger pour qu'elle parvienne jusque là.    

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant