39/ Mariage

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     Le mariage s'était déroulé par une belle matinée de printemps, au beau milieu de l'océan. Sur ce bateau où elle avait tant souffert, sur ce bateau où elle avait réussi à survivre tout ce temps, on l'unissait au capitaine. Elle s'était forcée à ne pas pleurer, respectant les demandes de Gonza. Elle avait même parfois esquissé un sourire devant son maitre, pour le faire disparaître aussitôt qu'il ne la regardait plus.

     Un mariage de pirate. Le pire mariage sans doute qu'elle aurait pu imaginer. Les danseurs les plus laids et les plus maladroits avaient animé cette cérémonie sur le pont tanguant et crasseux, qu'elle avait pourtant essayé tant de fois de laver. Pour se redonner du courage, elle avait souvent jeté des regards à Gonza, qui assistait au spectacle en retrait. Il lui faisait un sourire en coin, il hochait la tête pour la pousser à continuer, puis il avait complètement disparu de son champ de vision.

     Le soir même, après un délicieux festin dans la cabine du capitaine, celui-ci lui avait annoncé, alors qu'ils n'étaient qu'en tête à tête :

     — Dorénavant tu es ma femme. Tu seras toujours sous ma protection, et tu ne travailleras plus. Tu seras la reine de ce navire, et tu pourras faire ce que bon te semble. Tu mangeras avec moi à chaque repas, et tu dormiras avec moi tous les soirs. Tu es chez toi à présent.

     Sans flancher un seul instant, et sans montrer le moindre signe de désaccord, elle approuva, en pensant que c'était ce que Gonza voudrait. Avant de se diriger d'un pas nonchalant vers le fond de la pièce pour passer une nuit de sommeil après cette journée éreintante, son nouveau mari ouvrit une grande armoire :

     — Attends. Viens essayer ces habits, ils t'iront à merveille.

     Bien qu'elle fût heureuse d'enfin se débarrasser de cette maudite robe en lambeau qu'elle gardait depuis plusieurs semaines déjà, elle ne supportait pas l'idée de porter ces nouveaux vêtements. Le capitaine semblait pourtant avoir fait un effort. Les habits qu'il lui présentait paraissaient propres et une douce odeur se dégageait de l'armoire. Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer la femme qui avait dû porter ces vêtements avant elle. Son cadavre était sûrement en train de joncher le sol de sa demeure pillée et brûlée.

     Elle déglutit, sachant qu'elle n'avait pas le choix, et s'avança, ayant remarqué un ensemble qui lui plaisait beaucoup. Le capitaine sourit et lui laissa la place pour qu'elle puisse choisir toute seule. Elle attrapa un haut rouge décoré avec des formes d'éventails jaunes, et un large pantalon bleu avec une bande de tissu de la même couleur qui servait de ceinture.

     — Essaie-les.

     Docilement, elle obéit aux ordres de son maître, passant outre son regard posé sur elle, qu'elle avait toujours détesté. Cet ensemble lui allait à ravir. Elle serra la ceinture autour de sa taille mince et fit un nœud. Elle observa son reflet dans les vitres en face d'elle. Elle vit une mince silhouette se découper sur les carreaux, puis un visage, un visage déterminé. Elle porterait ces habits comme un hommage à toutes les victimes assassinées froidement par les Wako, pour honorer leur mémoire.

     Le capitaine à la barbe brune s'affala ensuite dans son lit et attendit sagement qu'elle vienne l'y rejoindre. Changée, elle se glissa dans les draps et ne pu s'empêcher de lui tourner le dos. Elle sentit bien assez vite son torse contre son corps et frissonna discrètement. Bientôt, tout cela serait terminé. Elle avait la garantie que son maitre ne la surveillerait plus en permanence et qu'elle serait libre de faire ce qu'elle voudrait sans représailles. Gonza et elle pourrait mettre tranquillement leur plan à exécution.

     Cependant, pour le moment, elle allait encore devoir sentir le corps et l'odeur du capitaine près d'elle sans rechigner. Elle savait ce qu'elle avait à faire, et elle ne s'en priverait pas de le faire le lendemain même. La liberté lui tendait les bras, et elle ne laisserait passer sa chance sous aucun prétexte. 

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant