52/ Domaine

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Prise de court et déséquilibrée, San retomba sur le sol en faisant deux roulades et atterrit aux pieds de la femme qui l'avait interpelée. Sa main qui tenait son poignard tremblait tant elle avait envie de s'en servir, mais trop de villageois armés les observaient.

— Suis moi, lui intima Eboshi.

— Mais madame, s'interposa Gonza.

— Je veux être seule avec elle Gonza, ordonna la femme au manteau bleu.

Elle se dirigea alors à l'Est du village, et San, toujours accroupie, la regarda s'éloigner à travers son masque. Elle profiterait du fait qu'elles soient seules pour lui ouvrir la gorge en deux, mais elle devait se méfier que ce ne soit pas un piège pour autant.

Quant à Eboshi, elle était imprudente mais pas stupide. Elle savait très bien que l'enfant louve allait tenter quelque chose contre elle. Néanmoins, elle n'était pas sans défenses et souhaitait à tout prix parler avec elle.

San finit par la suivre docilement en marchant sur ses deux jambes. Elles traversèrent le village silencieux, et passèrent devant la forgerie laissée à l'abandon par les femmes qui s'étaient rassemblées sur la place. Un feu brulait encore faiblement dans une haute cheminée mais plus personne ne l'alimentait, donc le métal ne pouvait être fondu.

San continua sa route et la chaleur des forges disparu. Elles arrivèrent devant un portail fait de rondins de bois, et Eboshi le poussa à un endroit précis, faisant apparaitre une large porte. Elle était tout près, et elle était de dos, San aurait facilement pu lui faire la peau, mais elle était intriguée de savoir ce que cette femme avait à lui dire.

Elle pénétra à l'intérieur de son domaine et Eboshi s'exclama :

— Ceci est mon domaine, les villageois n'ont pas le droit d'y entrer.

San descendit alors les petites marches qui la séparaient de petites parcelles de terre rectangulaires où étaient plantées toutes sortes de végétations. Des fleurs ou même des légumes. Le domaine de la jeune femme était délimité par une grande barrière qui entourait son jardin mais aussi sa demeure tenue à l'écart des villageois. Elles pénétrèrent alors dans une large maison au toit pointu et San remarqua qu'elle était gardée par des humains au corps recouvert de bandelettes et avachi devant l'entrée. Ils la regardèrent passer avec méfiance, tout en gardant près d'eux leurs bâtons de feu respectifs. Eboshi poussa la natte qui faisait office de porte et invita l'enfant louve à entrer.

A l'intérieur l'attendaient des hommes et des femmes armés. Pourtant ils n'avaient pas la force d'utiliser leurs armes, ils étaient juste assis ensemble et perfectionnaient les bâtons de feu que la jeune femme leur réclamait.

— Nous avons fini madame, articula l'une d'elle.

San lui jeta un regard. De son visage, elle n'apercevait que ses yeux qui s'écarquillèrent à la vue de l'enfant louve :

— Que fait-elle ici ?

Les autres lépreux commencèrent à s'agiter sous leurs couvertures de paille qu'ils avaient sur leurs épaules. L'un d'eux lâcha le morceau de bois qu'il était en train de tailler et saisit à deux mains son outil tranchant. D'autres se mettaient devant leurs congénères affaiblis et allongés dans leurs lits pour les protéger.

— Ne craignez rien, elle est mon invitée.

A ces mots, Eboshi prit en main l'arme que la lépreuse lui tendait et la soupesa :

— Le poids est correct, voyons maintenant sa portée.

Sans prêter plus d'attention à San, elle se dirigea sur le balcon surélevé sur lequel elle se trouvait lorsque San l'avait aperçue depuis le lac. L'enfant louve couru alors pour se mettre en travers de son chemin :

— Lâchez ! s'exclama-t-elle.

Eboshi s'arrêta nullement surprise :

— Tu as peur que je l'utilise contre toi ?

— Non contre la forêt.

— Ah oui, tu as du voir les Orangs-Outans déguerpir comme des lapins tout à l'heure.

San serra les dents et sortit son poignard.

— Ils replantent les arbres que nous arrachons. Vois-tu, ils sont un obstacle pour nous. Et toi aussi tu en es un. Mais tu es une humaine, tu peux nous comprendre. Le temps des Dieux et de la nature est révolu, vous devez laisser place à la technologie et l'exploitation des ressources naturelles. Tu vis comme une sauvage, n'aimerais tu pas participer au progrès, avoir un travail ici ?

— Taisez-vous ! hurla San hors d'elle. Vous n'êtes que des monstres et des assassins, vous détruisez la forêt et tuez ses habitants. Comment osez-vous vous qualifier de bons ?

— Toi enfant louve, tu sauves une cause perdue d'avance. Et qui protèges-tu ? Les arbres ? Les fleurs ? Les bêtes sauvages ? Moi je sauve des gens, des gens qui ont besoin d'aide, d'amour et de travail.

Tremblante de rage, San s'élança en direction de la jeune femme qui ne bougea pas d'un mètre et observa le couteau de l'enfant louve se rapprocher dangereusement d'elle. Lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques centimètres, elle n'eut pas le courage de lui trancher la gorge et Eboshi sentit seulement la lame froide se poser contre son cou. Derrière son masque, San avait le visage crispé et sa main tremblait. Elle devait la tuer, elle voulait la tuer. Alors qu'est ce qui l'empêchait de le faire maintenant ?

— Tu oserais me tuer ? Désarmée et devant mes pauvres lépreux ?

Face aux paroles de Dame Eboshi, San se tourna vers les hommes et les femmes enroulées dans leurs bandelettes qui devaient être changées très souvent, et qui l'observait, souvent de leur unique œil, derrière leurs bandes. Ils semblaient affolés et serrèrent leurs arquebuses entre leurs mains faibles, prêts à défendre leur leader.

San hésita. Elle appuya d'avantage son poignard contre la gorge de la jeune femme qui ne fit toujours rien pour se défendre. Elle manqua de courage en cet instant et se détacha de son ennemie.

— Vous ne pouvez vaincre la forêt du dieu cerf ! Un jour je vous détruirai tous.

A ces mots, elle bondit sur le haut des fortifications qui se dressaient devant le balcon de Dame Eboshi. Accroupie comme un prédateur, les pieds en équilibre sur les étroits piquets de bois, elle jeta un dernier regard à son ennemie et couru avec agilité sur le sommet des poteaux de bois qui se dressaient autour du village.

Eboshi la regarda s'éloigner et sortit de l'enceinte de sa demeure privée pour y trouver Gonza qui surveillait les environs. Il jeta un œil par-dessus l'épaule de son chef :

— Où est passée la démone ?

— Elle court sur les remparts des forges, pour trouver un endroit d'où déguerpir. Tuez-la avant qu'elle ne nous échappe. 

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant