47/ Deuil

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            Un bien triste silence régnait parmi les Emishi depuis déjà de nombreux jours. Leur deuil s'éternisait et semblait ne plus jamais finir. Tous les morts avaient été enterrés avec honneur, même ceux du camp adverse. Les hommes pleuraient leurs femmes et leurs enfants sur les tas de terre qui marquaient l'emplacement de leurs tombes. Kaya et ses deux meilleures amies avaient retrouvé leurs pères. Finalement, elles avaient bien fait de ne pas rester dans la montagne. Elles n'auraient pas pu défendre à elles seules toutes les femmes et tous les enfants face à une armée de soldats armés. Elles se seraient fait tuer elles aussi, et Ashitaka ne l'aurait pas supporté.

Il s'en était beaucoup voulu au début de ne pas être resté auprès de ceux qui avaient besoin d'être protégés. Ils les avaient abandonnés, signant leur arrêt de mort. Puis finalement, il avait réalisé que son aide avait été précieuse sur le champ de bataille également, sans laquelle, personne n'aurait été apte à prendre une quelconque décision.

Aujourd'hui, il était un des seuls avec Hii-Sama, qui ne regardait plus vers le passé, mais vers l'avenir. Pleurer la mort de ses parents appartenait à un temps révolu. Il devait dorénavant penser au devenir de son village. Beaucoup pensaient que cette bataille n'avait été remportée par aucun des deux camps. Néanmoins, Ashitaka réalisait bien que son peuple allait décliner au fil des années après cet affrontement. Les hommes allaient vieillir, il n'y avait plus d'enfants, et plus de femmes.

— Ashitaka, mon prince.

Le jeune homme ouvrit les yeux et fit face à son interlocutrice. Assise en tailleur tout comme lui, face à son tapis et ses pierres, la chamane du village le regarda avec ses yeux tombants :

— Ashitaka, comprends tu que tu es notre seul espoir ?

— Oui, articula-t-il avec une voix grave. Je dois ramener l'ordre et la discipline dans mon peuple, et trouver une solution face au déclin qui nous menace.

La vieille femme hocha lentement la tête :

— Mais sache que tu ne seras pas seul, mon prince.

— Je le sais.

La chamane se tu, et Ashitaka se replongea alors dans sa méditation qui l'aidait à réfléchir. Il en sortit le soir même, sans avoir trouvé de réponses à ses questions.

Kaya l'attendait au bas de l'échelle qui permettait d'accéder à la maison du chamane. Il descendit du dernier barreau et contempla le visage de son amie avec un air grave. Les yeux embués de larmes, elle se jeta dans les bras du jeune homme, comme elle ne l'avait pas fait depuis très longtemps. Elle pleura seule en silence tandis qu'il observait la nuit tomber lentement sur son village dépourvue de vie.

Il serait bientôt le chef, mais il devait se préparer dès maintenant à assurer cette fonction. Les chefs ne se lamentaient pas jours et nuits, ils trouvaient des solutions pour satisfaire leur peuple.

— Pardonne-moi Ashitaka, mais je ne peux imaginer à quel point tu souffres, sanglota la jeune fille qui lui arrivait à l'épaule.

— Je ne souffre pas, répondit-il.

Elle leva la tête et fronça ses sourcils bruns.

— Je ne te croyais pas aussi insensible.

Elle paraissait outrée et ses joues se tintèrent de rouge. Pensant avoir fait un geste pour réconforter son ami, elle fut touchée qu'il ne fasse pas de même pour elle, sa meilleure amie, qui venait de perdre sa mère également. Elle ne demandait pas qu'il se force à la plaindre, mais au moins qu'il la considère comme sa petite sœur. Comme autrefois.

— La douleur appartient au passé. Il faut aller de l'avant.

Kaya secoua la tête et fit danser ses courtes mèches brunes.

— Je n'oublierai jamais ce qu'il s'est passé, s'écria-t-elle en se détachant d'Ashitaka. Je ne pensais pas que tu deviendrais ainsi lorsque tu serais le chef du village, grand frère.

Elle tourna alors les talons et partit en courant se réfugier dans sa maison, ses larmes reprenant de plus belle.

Ashitaka n'éprouva rien. Pas même un pincement au cœur. C'était ainsi. La guerre l'avait endurci. Il ne devait pas trop s'attacher, ni se lamenter, il était le chef et se devait d'être fort, droit et juste.

A cet instant, Ashitaka se surprit à penser comme son père, alors qu'il l'avait toujours critiqué pour cela. Au fond, ils étaient pareils, et le rôle de chef était difficile à assumer. Pour tout le monde.     

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant