Origines (Princesse Mononoké)

46/ Transformation

            Nago poussait de longs cris de rage sans cesser sa course effrénée en direction de l'Est. Le sans jaillissait à flot de son corps meurtri, et une puissante haine lui permettait encore de tenir debout. Dévoré par les balles et le poison des humains, il finit par s'arrêter, alors que le champ de bataille était très loin derrière lui, mais que la fumée rougeoyante s'élevait encore par-dessus les arbres. Il tituba, pencha sur le côté, et s'écrasa de tout son long sur l'herbe rouge à cause de son sang. Le choc fit trembler la terre et certains Sylvains tombèrent de leurs branches avec une expression monotone. Ainsi aurait pu s'achever la brave vie du seigneur sanglier, si sa faiblesse ne l'avait pas transformé en démon assoiffé de sang.

Il sentit son corps le brûler atrocement, puis ses yeux injectés de sang s'écarquillèrent. Autour de ses orbites commencèrent à pousser de longs vers noirs et gluants qui s'agitaient en tous sens. Cette transformation se propagea sur tout son corps brun, et il ne fut bientôt plus qu'une masse de vers grouillants. Son ancien corps avait disparu, dévoré, en même temps que le peu de sagesse qui lui restait. Il était devenu un démon aux yeux rouges et luisants, sa silhouette se rapprochait plus à présent d'une énorme araignée que d'un sanglier. Il trouva alors la force de se redresser avec ses quatre pattes colossales noires et grouillantes. Il fit un pas en avant, et chaque parcelle de végétation qu'il frôla se dessécha instantanément, prenant une teinte rougeâtre. Prenant conscience de ses nouvelles capacités physiques, il se mit à avancer à une allure phénoménale, comme un prédateur affamé rampant sur le sol. Il avait soif de destruction, et sa colère se déverserait en premier sur les humains qui se trouvaient à l'Est et qui ne désiraient que la paix.

San se réveilla en sursaut après avoir vu pour la dernière fois les yeux rouges de Nago la fixant avec démence. Tremblante, elle se détacha de sa peau moelleuse qui lui servait de lit, et saisit sa lance. Hésitante, elle regarda le soleil pointer à l'horizon. Jamais elle ne se pardonnerait le fait d'avoir laissé mourir tous ces sangliers sans agir. Cependant, les seuls responsables de ce massacre, étaient les humains. Et même si Moro les trouvait trop dangereux et n'avait pas envie d'agir pour le moment, San allait les faire payer. La mort et la souffrance ne lui faisaient pas peur. Les seules choses qu'elle craignait, étaient la perte de sa famille, et à présent, les démons.

Resserrant l'emprise que sa main exerçait sur le manche en bois de sa lance, elle sauta avec grâce sur le rocher qui surplombait la forêt, et marquait l'entrée ou la sortie de leur grotte. Moro et ses frères dormaient encore. Les premiers rayons de soleil vinrent lécher ses petits pieds sales entourés de tissu, et c'est alors qu'elle s'élança dans la forêt en courant à toute vitesse. Elle n'avait pas oublié de prendre son masque de bois, et le positionna sur son visage. Grâce à lui, elle avait l'impression d'être invisible et invincible car ses trois frères l'accompagnaient à travers ce masque.

Elle ne ralenti pas son allure, même lorsqu'elle entendit un bruissement de feuillage tout près d'elle. Elle était suivie, mais ne s'en soucia guère. Qui que cela pouvait bien être, San savait pertinemment qu'elle courrait bien plus vite que lui, et qu'elle aurait vite fait de le semer. Elle se protégeait le visage des branches avec ses bras nus, mais chaque projectile rebondissait sur son épais masque. Ses instincts animaux prirent le dessus. Elle agissait et réfléchissait comme une jeune louve, et les loups savaient semer leurs poursuivants. Néanmoins, celui qui la suivait ne semblait pas se faire distancer. Elle se risqua à ralentir pour tourner la tête sur le côté et apercevoir son poursuivant, et eu à peine le temps de discerner une grande masse blanche qui bondit sur elle.

Ecrasée au sol par son frère, elle se débattit tandis qu'il grognait en s'écartant d'elle :

— Moro ne nous a pas donné l'ordre d'attaquer, je sais très bien que tu as envie de venger les sangliers.

— Laisse-moi, Sin ! Je te suis reconnaissante de m'avoir aidé à soutenir Nago, mais nous avons échoué ! Le clan des loups est censé protéger la forêt à n'importe quel prix, j'ai l'impression que vous l'avez oublié.

— Nous ne l'avons pas oublié. Mais conduire notre famille au suicide n'est pas la bonne solution.

— Je ne resterai pas plus longtemps sans rien faire ! Ces humains ont beau avoir leurs bâtons de feu, ils sont peu nombreux, et je ferai tomber leur forteresse !

— C'est de la folie San, ils sont bien trop puissants.

— Et ils le seront d'avantage si nous n'agissons pas le plus vite possible.

C'était la première fois que l'enfant louve faisait face avec autant de rage à Sin. Le louveteau, résigné, tourna les talons et souffla :

— Cette fois, je ne t'accompagnerai pas, et j'espère que tu changeras d'avis.

San le regarda s'éloigner en retenant ses larmes. Jamais elle ne s'était disputé avec son frère, et c'était peut être, la derrière fois qu'elle le voyait. Rien ne pouvait la décourager, ni faire baisser sa motivation. Aujourd'hui, elle était prête à mourir pour défendre sa forêt et servir le Dieu cerf. Cependant, elle avait espéré que comme d'habitude, Sin l'accompagne et la soutienne.