51/ Auberge

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Alors que l'orage grondait et que la pluie s'abattait sur les carreaux des maisons, une petite auberge était encore allumée dans un coin du village et l'ambiance y était légèrement alcoolisée. Une jeune femme avec un large kimono rose et un bandeau blanc dans les cheveux circulait entre les tables et les hommes ivres morts avec un plateau dans les mains. Elle déposa une cinquième chope de bière sur la table au fond à gauche et reçu une nouvelle tape sur les fesses de la part d'un des hommes qui l'avait sollicitée, et qui braillait et riait aux éclats en buvant.

Elle leva les yeux aux ciels et s'éloigna de ces imbéciles ivrognes pour se diriger à nouveau derrière le comptoir ou personne ne pouvait l'atteindre.

— Hé Toki, s'exclama le barman en lui lançant un verre à essuyer. Tu as beaucoup de succès tu sais. Trois hommes ont payé une sacré somme pour que tu passes un moment avec eux cette nuit. Ne compte pas dormir aujourd'hui !

Toki soupira alors et renvoya à son patron le verre désormais propre en le faisant glisser sur le comptoir de bois. Avec un peu de chance, ces trois hommes seraient trop ivres pour se tenir éveillés plus de cinq minutes et elle pourrait passer une nuit tranquille.

Le barman passa derrière elle et en profita pour lui pincer les fesses à son tour avant de disparaitre dans l'atelier du fond. Elle soupira et appuya ses coudes sur le comptoir. Elles étaient quatre jeunes femmes à travailler dans cette auberge. Celle d'à côté en comptait six et la dernière à l'entrée du village en hébergeait sept.

La porte d'entrée grinça alors et deux silhouettes apparurent dans l'embrasure. Toki les fit entrer car ils étaient trempés jusqu'aux os et qu'ils étaient au beau milieu de la nuit.

— Désolé on est complet, dit-elle sans même prendre la peine de les saluer.

— Nous souhaitons seulement une chambre pour la nuit.

Lorsqu'elle entendit la douce voix de femme lui répondre, Toki leva les yeux et observa les deux nouveaux venus.

Devant elle se tenait un grand homme à la peau sombre et à l'allure menaçante, accompagné d'une jeune femme au teint pâle et aux cheveux de jais, enroulée dans un long manteau bleu dégoulinant.

— Je suis sûr que nous pouvons nous arranger, poursuivit le grand homme chauve.

— Je vais voir avec le patron, répondit Toki.

Elle disparu au fond et fut replacée quelques secondes plus tard par un homme petit et grassouillet qui se dirigeait vers eux, mécontent :

— Vous comprenez pas quand on vous dit que c'est complet ? s'exclama-t-il avec dureté.

Gonza posa alors sur le comptoir une bourse remplie d'or qui tinta sur le bois et qui ne manqua pas d'émerveiller le dirigeant de l'auberge.

— On va vous trouver une chambre, rectifia-t-il alors avec un ton mielleux. Monsieur veut passer la nuit avec la jeune femme, si jamais vous voulez vous en débarrasser, je suis prêt à vous l'acheter à un bon prix.

Toki venait de réapparaître et regarda la réaction de l'homme qui accompagnait Eboshi. A son plus grand étonnement, ce fut plutôt elle qui réagit. D'un mouvement rapide, elle attrapa le bras de l'aubergiste pour le plier dans son dos et l'écrasa violement contre le comptoir. Le nez collé contre la table en bois, le petit homme gras se débattit faiblement tandis que la femme articulait :

— Je vous demanderai de montrer un peu plus de respect envers ma personne, et envers toutes les autres femmes que vous croiserez dorénavant.

Le patron balbutia quelque chose d'incompréhensible et Eboshi le libéra, tandis que Toki les regardait d'un air amusé. La jeune femme au manteau bleu la remarqua, et rouge de honte, la serveuse disparu alors dans l'atelier.

Gonza et Eboshi se dirigèrent ensuite vers la chambre qui leur avait été attribuée. Ils quittèrent leurs habits mouillés et les étendirent sur le sol crasseux de la pièce. Les murs en bois étaient devenus noir et une odeur de moisi s'en dégageait. Les lits grinçaient et dès que Gonza s'assit sur l'un d'eux, un nuage de poussière s'en éleva.

— Le mobilier est aussi dégoutant que le propriétaire, grogna Eboshi en remontant les manches de son haut rouge à motifs jaunes.

— Comprenez-le, c'est une auberge qui fait office de maison de passe, répondit Gonza. Il a dû se méprendre avec vous.

— Non je ne comprends pas pourquoi les femmes sont aussi peu respectées dans ce monde, soupira Eboshi en faisant les cents pas dans la petite pièce carrée.

— En tout cas, il avait mérité sa correction, s'amusa Gonza.

Ils se mirent alors à rire de bon cœur tandis que derrière son comptoir, l'aubergiste essayait de soigner son nez cassé.

— Mais s'il avait été plus fort, il aurait pu se dégager. Mon emprise n'était pas assez forte, constata la jeune femme.

Gonza se leva alors et tenta de saisir le bras de la jeune femme. Elle lui envoya son poing au milieu du visage mais il l'esquiva de justesse. Elle se libéra de son emprise et s'accroupit pour lui décrocher un coup de pied dans les chevilles, ce qui le fit basculer sur le côté.

Elle lui tendit alors la main pour le redresser :

— Vous commencez à vous améliorer, dit-il en se massant le dos.

— C'est grâce à toi.

— Les voisins ne doivent pas être contents d'avoir loué une chambre à côté de la notre.

— Ils étaient si ivres, je doute qu'ils entendent quelque chose dans leur sommeil.

Un silence s'installa alors entre eux. La jeune femme s'étira et prit place sur le deuxième lit poussiéreux de leur chambre provisoire.

— Gonza ? demanda-t-elle dans le noir, tandis que la pluie d'hiver s'abattait sur les fenêtres.

— Oui madame ?

— Penses tu que nous trouverons assez de personnes pour nous suivre ?

— Je l'espère.

— Et me promets-tu de me servir et de me rester fidèle pour l'éternité ? 

— Bien sûr madame.

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant