Origines (Princesse Mononoké)

29/ Vision

     Ashitaka entendit un martèlement. Puis, l'image se précisa d'avantage dans son esprit. Un loup courait à toute allure. L'image continua de monter. Il aperçu deux petits pieds posés sur les flancs de l'animal. Sa vision apparue alors entièrement. Une fille avec une lance dans les mains s'agrippait aux poils du loup blanc. Ashitaka ne pu voir son visage, il était couvert par un étrange masque circulaire rouge, où était également attachée une fourrure d'animal. Semblable à celle du loup qu'elle chevauchait. Qu'était-il arrivé à cet animal pour qu'on le dépèce ? Le pelage blanc flottait dans le dos de la fille au rythme de sa course. Elle se tendit un moment, puis leva sa lance et le loup bondit dans les ténèbres. Ainsi s'acheva la nouvelle vision du jeune homme.

     Il s'éveilla avec un atroce mal de crâne. Ashitaka se redressa en se tenant fermement les tempes. La veille, il avait eu une violente dispute avec son père. Ashitaka ne comprenait pas pourquoi celui-ci se montrait aussi peu sensible, et avec un cœur aussi dur que de la pierre. Il n'avait pas cessé de dire qu'il était vieux, et qu'à la prochaine bataille il mourrait certainement, que leur peuple était en déclin, qu'il fallait s'attendre à ce que leur village disparaisse... Son fils n'avait pas supporté qu'il angoisse sa mère avec de telles paroles alors il s'était emporté, et cette nuit, il n'avait pas cessé d'avoir ses visions avec la colère qui l'assaillait.

     Il prit une grande inspiration et essaya de se calmer. L'image du loup s'estompa complètement dans sa tête, et Ashitaka se mit à réfléchir. Une idée germa alors aussitôt dans son esprit et il se leva d'un bond. Encore torse nu, il se précipita à l'extérieur alors que l'aube pointait à peine et que le village était encore dans l'ombre. Il couru à toute allure vers la maison d'Hii-Sama et gravit l'échelle en un rien de temps pour faire irruption chez la vieille chamane, haletant.

     — Bonjour mon garçon, murmura-t-elle.

     Elle ne dormait pas, elle était assise en tailleur sur le sol et disposait ses petites pierres de couleur sur son tapis.

     — Hii-Sama, j'ai eu une vision.

     Elle leva la tête, soucieuse et plissa les yeux :

     — Quel genre de vision ?

     — La haine. J'ai vu la haine elle-même, personnifiée.

     Le médium fronça les sourcils et récolta ses pierres lisses pour les lancer devant elle en même temps qu'elle écoutait le jeune guerrier.

     — Continue Ashitaka.

     — C'est une fille, accompagnée par des loups blancs. Je la vois, à chaque fois que je suis en colère, que je ressens une violente haine envers quelqu'un. Elle a des marques rouges sur le visage, couleur sang. Elle a toujours une lance et un poignard sur elle, et à chaque fois que je la vois, elle s'apprête à attaquer et à aller tuer des gens. Elle est la haine. La princesse des loups.

     Il avait dit cette dernière phrase avec une certaine admiration, mais lorsqu'il vit le visage grave de la vieille femme, il devint moins nostalgique.

     — C'est très grave ce que tu m'annonces là mon garçon, commença-t-elle.

     Il serra la mâchoire et s'assit gravement en face d'Hii-Sama, prêt à tout entendre.

     — Tu dis que tu la vois à chaque fois que, toi, tu ressens de la haine ?

     Il hocha la tête.

     — Mais elle à l'air d'être toujours en colère elle aussi, ajouta-t-il.

     — C'est un très mauvais présage Ashitaka.

     Il déglutit, sentant que les pierres avaient parlé. Elle ferma les yeux à son tour pour se concentrer et Ashitaka fit de même en attendant. Il repensa à sa discussion d'hier avec son père, mais aucune émotion négative ne s'empara de lui. Il l'avait pardonné. Il savait que son père avait voulu être sincère sans montrer trop d'optimisme. Il était le chef, le village était sous sa responsabilité, et il savait qu'ils pouvaient s'attendre à tout. Il essaya alors de penser au Dieu qu'il avait affronté il y a quelques temps dans la clairière. Il se remémora ses paroles remplie de haine envers les Emishi, alors qu'ils n'avaient jamais été la cause de son malheur. Il se rappela cette masse informe de vers qui réduisait à néant toute forme de vie rien qu'en l'effleurant. C'en fut assez.

     Ashitaka ouvrit de grands yeux ronds et vit une scène horrible se dérouler sur sa rétine. Il vit une violente explosion. Le son était presque imperceptible, couvert, comme si des mains invisibles lui bouchaient les oreilles. Au milieu des flammes et des débris, il vit alors un loup blanc bondir dans sa direction. Certains de ses poils étaient devenus gris, à cause du feu. La fille était toujours sur son dos, recouverte de suie elle aussi. Ils couraient entre les flammes, et Ashitaka s'écria :

     — Arrête tu vas mourir !

     Il avait parlé dans son rêve, mais elle semblait l'avoir entendu. Elle tendit son bras vers lui, le bout de sa lance dirigé vers son crâne, et le loup se mit à courir dans la direction du jeune guerrier. Il était paralysé, en à peine deux bonds de la part de l'animal, ils se retrouvaient face à face. La fille avec son masque sur le visage sauta du dos du loup et atterrit avec grâce aux pieds d'Ashitaka. Elle prit sa lance à deux mains et s'apprêta à l'enfoncer dans le ventre du jeune homme. Il se mit à hurler et la vision disparu sans qu'elle ait eu le temps d'achever son geste.

     Ashitaka vit son entourage flou pendant quelques instants, puis tout redevint à la normale, et il aperçu le plafond de la vieille Hii-Sama. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il était tombé sur le dos et qu'il se tenait le visage entre ses mains. La chamane était penchée au dessus de lui et s'exclama de sa voix cassée :

     — Ashitaka, qu'est ce qui se passe ?

     Il se releva tant bien que mal, les oreilles toujours bourdonnantes. Inconsciemment, il porta une main à son ventre qui avait faillit se faire transpercer.

     — Elle m'a entendu, murmura-t-il.

     — Oui, moi aussi je t'ai entendu, ajouta la vieille femme. Qui allait mourir ?

     — La fille, balbutia Ashitaka. Elle courait dans les flammes, il venait d'y avoir une explosion.

     — Comment as-tu eu cette vision ?

     — J'ai essayé de ressentir de la haine.

     Hii-Sama se plongea un moment encore dans ses réflexions. Le jeune homme essayait de retrouver son calme. Cette jeune fille existait-elle vraiment ? Vivait-elle vraiment avec des loups ? Hii-Sama avait quant à elle, d'autres pensées bien plus sombres en tête :

     — Ces visions annoncent un malheur Ashitaka. Un malheur va s'abattre sur nous.

     Le jeune guerrier baissa la tête. Il faisait ces visions depuis des années. Pourquoi une catastrophe se produirait-elle maintenant et pas avant ? Il soupira, mais le médium n'avait pas terminé :

     — Et plus précisément, sur toi mon garçon.