37/ Sangliers

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     San et ses trois frères courraient aux côtés de Moro, guidés par la fumée qui émanait des arbres et que le clan avait aperçue du haut de leur tanière. San avait les genoux serrés contre les flans de Son qui commençait à fatiguer. Ils sortirent de la forêt pour voir alors un spectacle terrible s'offrir à eux. Toute une parcelle d'arbre et de prairies verdoyantes avait disparue en quelques jours à peine, remplacée par une terre sèche et jaunâtre. Les loups arpentèrent avec désolation ce nouveau terrain dépourvu de vie, et San serra la mâchoire :

     — Je ferai payer à ces humains.

     Ils repartirent donc au pas de course en direction de la fumée dense qui s'élevait dans le ciel. Ils n'eurent qu'à gravir une colline recouverte de quelques brins d'herbes, pour se retrouver face à un immense lac. De l'autre côté de l'étendue bleu azur, des humains s'activaient pour construire un petit village, semblable à une véritable forteresse. San distinguait à peine les formes qui déplaçaient des troncs d'arbres ou surveillait le feu, mais elle reconnu instantanément le long manteau bleu de l'instigatrice de cette déforestation.

     — C'est cette femme qui est à l'origine de tout cela, informa-t-elle sa mère.

     Celle-ci grogna et Son attendait avec impatience qu'elle leur donne l'ordre d'attaquer. Sage et intelligente, elle ne dit rien et se contenta de rebrousser chemin à la plus grande surprise des trois louveteaux. San quant à elle, semblait avoir compris la stratégie de Moro.

     — Que faisons nous ? demanda Sun, déconcerté.

     — Nous allons faire le tour par les crêtes pour nous rapprocher de ce village d'humains, et les observer sans se faire remarquer.

     Obéissant aux ordres de leur mère, les enfants loups se retirèrent comme s'ils n'étaient jamais venus observer dans l'ombre le groupe d'humain qui construisait ce village. Cependant, la jeune femme aux cheveux d'ébène tourna un instant la tête, attiré par du mouvement en haut de la montagne. Elle plissa les yeux et n'eu le temps d'apercevoir qu'une queue blanche qui disparaissait derrière la crête.

     Pendant ce temps, San cramponnée au dos de Son, regardait avec appréhension les alentours, pressentant quelque chose. Du haut des crêtes, le clan des loups surplombait l'ensemble du paysage, avec une vue dégagée.

     Les montagnes verdoyantes s'étendaient à perte du vue et on voyait quelques fois de petits Silvains passer leur tête entre le feuillage des arbres. Ce spectacle aurait pu paraitre merveilleux, mais cette forêt des esprits gardait néanmoins un aspect froid et lugubre, surtout après la perte considérable d'arbre et de verdure. Elle semblait attristée à ces moments là, désolée. Comme si les divinités rendaient hommage aux arbres, et que le Dieu cerf cessait d'entretenir sa forêt.

     Du mouvement attira l'attention de la fille louve qui s'écria :

     — Mère, regarde !

     Avec la pointe de sa lance, elle désigna un point au loin dans la vallée. Moro s'arrêta, suivie de ses trois fils, et fixa intensément la masse mouvante qu'elle apercevait au loin, les oreilles dressées.

     — Qu'est ce que c'est ? demanda Sin.

     — Des sangliers.

     San fronça les sourcils. Pourquoi les sangliers s'aventuraient jusqu'ici ? Avaient-ils aussi été alertés par la fumée et la déforestation ? Les loups s'agitaient. La venue des sangliers ne présageait rien de bon. Ils continuèrent à observer leur progression, oubliant complètement les humains derrière eux. Moro distingua d'avantage les nouveaux venus :

     — C'est Nago qui est à leur tête.

     — Mais que viennent-ils faire ici ? s'inquiéta San.

     Moro ne répondit rien, elle ne le savait pas plus qu'elle, mais elle avait la même envie de comprendre la raison de la venue de cette puissante armée de divinités. Le troupeau sortit entièrement de la forêt, débouchant au fond de la vallée, en dessous du clan des loups. Le troupeau était immense une fois rassemblé. Les sangliers étaient menés par centaines par leur chef à la fourrure brune qui décida de faire escale au pied d'un fleuve.

     — Allons leur parler, leur intima Moro en se lançant dans la descente escarpée de la montagne.

     Ce côté du flan de la montagne était plus abrupt que les autres, mais avec leur force et leur agilité, ils furent tous les cinq en bas en très peu de temps et sans aucune égratignure. S'ensuivit alors une nouvelle course effrénée jusqu'au fleuve où s'abreuvait l'armée. Ils se trouvaient à présent de l'autre côté de la rive, faisant face aux sangliers. San descendit du dos de son frère, le laissant reprendre son souffle, et se positionna aux côtés de sa mère en posant une main sur son long pelage blanc. La taille de la jeune fille paraissait ridicule comparée à celle de Moro. La Déesse observait les sangliers qui lui jetaient parfois des regards soupçonneux, puis Nago s'avança enfin :

     — Bonjour Moro.

     Avec sa carrure et ses gigantesques défenses, il paraissait tout aussi imposant que la louve.

     — Qu'est ce qui t'amènes ici, toi et ton armée ?

     La voix grinçante de Moro avait adopté un ton autoritaire. Nago ne semblait pas impressionné. Il avait la réputation d'être têtu et inconscient, et Sin craignait d'entendre sa réponse.

     — Nous avons entendu parler d'un village d'humain qui viendrait souiller ces terres. Nous allons tous les détruire.

     Il marqua une pause avant d'hurler, la bouche à peine ouverte :

     — N'est ce pas ?

     Des grognements sonores s'élevèrent alors derrière lui. Tous semblaient prêts à le suivre et une détermination sans faille émanait de ses paroles et motivait ses troupes. San était émerveillée par l'admiration que les sangliers vouaient à leur chef, cependant, leur plan était voué à l'échec.

     — Les humains vous extermineront tous avec leur bâton de feu, vous ne remporterez pas cette bataille, poursuivit Moro.

     — Bien sûr que si, affirma Nago. Nous sommes déjà bien plus nombreux et plus efficace que ton clan. Trois louveteaux et une jeune humaine.

     San se sentit offensée, ses frères voulurent réagir mais Moro conserva la parole :

     — L'intelligence de ma fille équivaut au cerveau de mille de tes soldats.

     Nago ne prêta pas beaucoup d'attention à sa remarque. Les sangliers, réputés pour être sages, ne semblaient pas totalement l'être en fin de compte.

     — Ecarte-toi mère louve, sinon nous seront obligés de vous piétiner pour passer. Vous ne pourrez nous arrêter. Nous attaquerons ce soir !   

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant