43/ Nago

57 8 16
                                    

San sentit de puissantes mâchoires lui saisir son habit blanc. Elle remonta progressivement à la surface, les bras et les jambes ballotés dans l'eau glaciale. Sa tête émergea enfin du lac et elle prit une grande bouffée d'oxygène. Son frère la déposa délicatement sur la berge et elle se permit de fermer les yeux un instant, extenuée.

La voix masculine qu'elle avait entendue lui revenait sans cesse en tête. Qui l'avait appelé ? Que lui voulait-il ? Elle devait le découvrir, mais avant, elle devait s'occuper de Nago. Elle tenta de bouger ses paupières pour éviter le drame qui s'apprêtait à survenir, et que penserait Moro si elle voyait sa fille dans une telle situation de faiblesse ?

Lorsqu'elle s'éveilla enfin, elle réalisa que la nuit était tombée. Les petites vagues du lac venaient lécher ses petits pieds et elle se redressa dans un élan de panique :

— Combien de temps ais-je dormi ?

Elle le comprit bien vite lorsqu'elle vit ses trois frères assoupis à ses côtés tandis que leur mère montait la garde, et que des coups de feu retentissaient derrière les crêtes. San ne perdit pas un instant et se mit à courir sur le flanc de la montagne, sous le regard impassible de Moro qui savait très bien qu'il était déjà trop tard. Bien que très fatiguée et affaiblie, l'enfant louve ne décéléra pas sa course effrénée, et elle arriva essoufflée en haut de la crête.

Portant son regard plus bas, là où régnait une grande agitation, elle pu voir un terrible affrontement qui semblait avoir débuté depuis de longues heures déjà. De l'autre côté de la montagne, à son pied, s'affrontaient les humains et les sangliers. Les uns avec leurs bâtons de feu puissants, et les autres se défendant seulement avec leurs dents et leur entêtement.

San serra la mâchoire et observa cette femme au grand manteau bleu et se jura qu'un jour elle lui ferait regretter de s'être installée dans la forêt des esprits. Les sangliers chargeaient par petits groupes et se faisa ient décimer au fur et à mesure, à chaque fois que l'humaine hurlait le maudit mot : « Feu ! »

L'enfant louve ne pu plus supporter la vue de ces pauvres animaux en train de perdre la vie à chaque seconde qui défilait. Elle détourna la tête et dévala la montagne en sens inverse pour rejoindre sa famille. Son et Sun qui avaient jusque là somnolé, observaient leur sœur en train d'accourir vers eux.

— Comment pouvez-vous rester endormis alors qu'une guerre vient d'éclater à quelques pas de nous !

— San, tu ne peux plus rien faire pour ces cochons entêtés, répliqua sa mère d'une voix grinçante.

La jeune fille, horrifiée par le comportement et les propos de Moro chercha un peu de soutient du côté de ses frères :

— Son ! Les humains sont en train de tuer nos confrères, et ils détruisent la forêt à cause de leurs affrontements !

Le louveteau ignora la remarque de sa sœur et s'allongea d'avantage sur le sol, préférant écouter sa mère. San jeta un dernier regard suppliant à Sin qui se redressa mollement :

— Grimpe.

La fille louve ne perdit pas un instant pour bondir sur sa fourrure blanche, et ils s'élancèrent là où le conflit faisait rage à toute allure. L'atmosphère avait pris une teinte rougeâtre à cause du feu et de la fumée, causés par les armes des humains. San et Sin volèrent ensemble au milieu des étincelles qui leur brulaient la peau ou le pelage et atterrirent au milieu des sangliers survivants qui attendaient de pouvoir charger sur les humains. Ceux-ci semblaient avoir un stock de bâton de feu inépuisable. Ils avaient formé une barrière humaine, et se protégeaient avec de grandes ombrelles rouges depuis lesquelles ils tiraient leurs balles.

Une nouvelle rangée de sangliers partit à l'attaque, après que leurs confrères aient à peine pu dépasser la barrière d'humains. Sin poursuivit sa course dans le sens contraires des sangliers pour rejoindre Nago à la fin du rang. San descendit et atterrit avec souplesse sur le sol pour se précipiter aux pieds de l'immense dieu à la fourrure brune :

— Seigneur Nago ! Cessez cette bataille, c'est perdu d'avance, vous allez tous mourir !

— Les sangliers ne fuient pas le danger. Si nous devons mourir en tuant le plus d'humains possible ou en les chassant de la forêt, alors elle se souviendra de nous.

San secoua la tête :

— C'est de la folie, la fuite est ici la solution la plus sage ! Je sais que vous avez peur.

En effet, une légère inquiétude pouvait se lire dans les yeux assombris par la haine du sanglier. Il ne sembla pas supporter néanmoins qu'on lui en fasse la remarque :

— Comment oses-tu humaine ? Tu as beau être la fille de Moro, tu n'as pas le droit de me parler de la sorte !

San n'eut pas le temps de répliquer, car un projectile vint s'écraser à quelques mètres d'eux et explosa soudainement au contact du sol. La jeune fille et le louveteau furent projetés dans les airs et retombèrent avec fracas tout en se faisant ensevelir par des nuages de poussière et de graviers.

Sonnée, et les oreilles bourdonnantes, San ne réagit que lorsqu'elle sentit le museau de son frère en train d'essayer de la réveiller. Elle toussa bruyamment mais ce faible son fut imperceptible même pour elle, par rapport au vacarme ambiant qui se faisait entendre autour d'eux. Elle se débarrassa des branches ou des pierres qui recouvrait son corps étalé sur le sol et se releva avec lenteur et difficulté.

— Monte, lui ordonna Sin.

Elle ne se le fit pas prier, évitant de réfléchir à quoi que ce soit. Avachie sur les poils grisâtres de son frères, elle se mit à verser quelques larmes silencieuses, honteuse de sa faiblesse. Lorsqu'ils atteignirent les crêtes, loin du danger et du combat, elle daigna regarder le massacre qui se déroulait quelques mètres plus bas.

Plus aucun sanglier ne tenait debout. Nago était allongé au milieu de ses semblables, en train d'agoniser lentement. San remarqua qu'il usa de ses toutes dernières forces pour se redresser et lancer un ultime assaut. Il fut mitraillé de balles et poussa un long cri qui résonna à travers la forêt entière, avant de s'enfuir à toutes jambes en direction de l'Est en maudissant les humains. La haine seule l'animait et lui permettait de tenir debout et de courir malgré le sang qui s'échappait lentement de son corps.

San en eut la gorge nouée, et elle observa les humains plier bagage avant de s'en retourner à leur village. Si seulement elle avait pu arrêter ces trois messagers, cette maudite femme n'aurait pas été prévenue, et leur village n'existerait peut être plus à l'heure qu'il est. Refoulant ses larmes, elle articula entre ses dents :

— Si d'autres sangliers reviennent se battre, nous serons parmi eux, et nous défendrons notre forêt. Il n'est pas question que nous nous cachions une nouvelle fois. 

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant