55/ Balle

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San courait à toute vitesse sur les remparts étroits qui surplombaient le village. D'un côté s'élevaient les toits des maisons recouverts de tuiles, et de l'autre, le vide avec de grands piquets de bois sur le sol pointés vers le haut. Elle cherchait des yeux sa lance toujours plantée dans les fortifications de bois, et qui l'attendait pour repartir.

Dans le village, son apparition ne passa pas inaperçu. L'un des villageois signala sa présence en la pointant du doigt, et elle entendit alors un homme hurler :

— Abattez-la !

Elle serra les dents, regrettant déjà de ne pas avoir planté son poignard dans la gorge de cette maudite femme. Elle regarda de nouveau du côté droit. Sauter en espérant éviter les pieux et s'enfuir à découvert paraissait être un très mauvais plan. Elle continua alors sa course effrénée en sentant une balle d'arquebuse exploser juste derrière elle. Mais l'enfant louve se savait bien trop rapide pour les humains qui ne parviendraient pas à la toucher. Elle eut tort de penser cela, car lorsque des éclats de bois volèrent juste devant elle, elle fut déséquilibrée et tomba à la reverse.

Son dos heurta un toit en pente et elle poursuivit sa course jusqu'à ce que sa chute se termine à pic. Renversant quelques tuiles au passage, elle tomba avec lourdeur sur le sol quelques mètres plus bas. Néanmoins, elle maitrisa sa chute et atterrit avec agilité, pour bondir instantanément au milieu de la foule.

Les villageois s'écartèrent sur son passage tandis qu'elle fendait l'air avec son poignard, et fut vite confrontée à Gonza qui voulait apparemment sa revanche. A peine eut-elle le temps de s'élancer vers lui qu'une nouvelle alerte sonnait.

— Des loups ! Des loups !

Le guetteur frappait avec insistance sur une tablette en métal et les villageois s'agitèrent alors. Gonza tenta de calmer l'assistance en hurlant :

— Nos fortifications ont été construites pour cela, ils ne passeront pas !

San quant à elle, ne cessait de se poser des questions. Que venaient-ils faire ici ?

— Ils ne cessent pas leur course ! continua le guetteur.

— Eh bien qu'ils viennent s'écraser contre nos pieux ! s'exclama Gonza.

Il y eut ensuite un long silence, durant lequel tous se demandaient ce que les loups allaient faire, même San. La sentinelle poussa alors un long cri, brisant le silence, et le pelage blanc d'un louveteau apparu par-dessus les fortifications. Il avait bondi par-dessus les pieux et s'élevait à présent au dessus des toits. Il glissa sur les tuiles et atterrit avec adresse au milieu de la foule qui poussait des cris d'alarme. Gonza était interloqué par la force et l'agilité de ce loup tandis que San s'exclamait :

— Sin !

Il lui fit un signe rapide de tête et elle ne tarda pas à sauter sur son dos. Agrippée à son pelage blanc, elle jeta un dernier regard à Gonza qui s'adressait à ses tireurs, tout aussi déboussolés :

— Tirez !

Ils reprirent leurs esprits au moment ou le loup et la jeune fille sautaient de nouveau sur les toits, et les balles s'écrasèrent contre la porte d'une maison. Sin couru entre les cheminées pour arriver jusqu'aux remparts et fit un bond magistral pour sortir enfin de ce village. Il évita de justesse les pieux qui se dressaient en dessous de lui et poursuivit sa route une fois à l'extérieur.

Ils se dirigèrent à une vitesse plus lente en direction du lac, avant de reprendre le chemin des crêtes pour pouvoir disparaitre derrière la colline.

— Pourquoi es-tu venu ? demanda San en se dandinant au même rythme que la marche de son frère.

— Je n'allais quand même pas te laisser mourir.

L'enfant louve regarda alors aux alentours. Ni Moro ni ses autres frères n'étaient venus. Silencieusement, elle enfoui sa tête dans le pelage clair de Sin pour verser quelques larmes. Que pourrait-elle faire sans lui ?

Alors qu'ils dépassaient tranquillement le lac aux reflets argentés, des éclats de voix se firent entendre derrière eux.

Les habitants des forges avaient ouvert de petites trappes dans leurs remparts de bois et pointaient leurs armes sur eux. Aucun des deux n'eut le temps de réagir que plusieurs balles fendaient déjà l'air. Elles s'écrasèrent avec violence à leurs pieds, soulevant un nuage de poussière, et San fut projetée en arrière.

Elle resta un long moment inconsciente. A son réveil, le calme était revenu, les trappes des forges au loin étaient refermées. Sonnée, elle ôta son masque rouge et posa une main sur son crâne endolori. Aucune trace de sang n'était apparente, son masque avait dû la protéger.

Plus loin, elle entendit des gémissements ainsi qu'une respiration bruyante. Le louveteau était allongé sur le sol, baignant dans une large flaque de sang qui l'élargissait à chaque seconde.

— Sin !

L'enfant louve se précipita aux côtés de son frère, et ses genoux tombèrent dans le sang encore chaud. Son frère avait les paupières à moitié clauses et respirait avec difficulté. San sentit les battements de son cœur s'accélérer, et posa ses mains contre le pelage de Sin pour chercher la blessure. Elle sentit alors la source du sang qui s'écoulait à flot de la poitrine de son frère :

— Sin ! Tu m'entends ? Qu'est ce que je dois faire ? Il faut que le Dieu cerf te soigne ! s'alarma la jeune fille.

Le louveteau ne répondit pas, et sa respiration devint de moins en moins régulière :

— Sin !    

Origines (Princesse Mononoké)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant