Ignis resta pensive quelques instants, les yeux égarés dans le vide.
« Savez-vous, reprit-elle finalement, quand Galaniel devrait revenir ?
— Je ne dispose pas, malheureusement, de cette information. »
Avec elle, le Shawnien restait désormais le dernier survivant de cette bataille sanglante. Même Zawhyk, malgré tous ses pouvoirs, avait trouvé la mort, et son fils avait hérité de son flambeau.
De toute l'expédition, de ce désastre amer, il restait, sans doute, la seule personne qu'elle pût encore sauver.
« Je vais y retourner, décida-t-elle. À Sif. »
Avait-elle seulement quitté ce lieu maudit, ce jour funeste ? Les mêmes cauchemars la pourchassaient en boucle, encore et encore ; cette bataille n'avait jamais pris fin.
« Je comprends, acquiesça le Prince, du moins, je crois. Et je tiendrai ma promesse : vous êtes libre de partir quand vous voulez. Néanmoins, si vous me permettez... »
Il soupira.
« Prenez au moins un peu de repos ici. Vous apparaissez déjà à bout de forces, toute magicienne que vous fussiez.
— Je... »
Comme pour confirmer les dires du Prince, un voile brumeux traversa les yeux de la Shawnienne. Elle avait pris sur elle jusqu'ici, en partie soutenue par ses pouvoirs, mais son corps accusait ses limites. Après avoir échappé aux Kalendoriens, jamais n'aurait-elle dû se faire capturer aussi facilement, même par des gardes bleus. Que ferait-elle, plus affaiblie que jamais, si elle devait à nouveau, faire face au Commandant noir ?
« D'ailleurs, si vous attendez un peu, poursuivit le Prince, j'aimerais, si possible, vous adjoindre une escorte, peut-être même mon Commandant, Sodem Trean. C'est un homme en qui je fonde la confiance la plus absolue, et, sans doute, aussi, le plus à même de vous aider. Du moins... »
Ses yeux bleus traversèrent une fenêtre, dépassèrent les jardins, la capitale, et traversèrent les plaines verdoyantes pour se perdre dans l'horizon.
« Qu'y-a-t-il ? » remarqua Ignis.
Le Prince secoua l'azur de ses cheveux.
« Je suis désolé, je me répands en palabres sur l'avenir, mais, en ce moment même, Sodem affronte encore l'armée kalendorienne près de la forteresse d'Elna. Je me répugne au pessimisme, mais nous avons perdu, ces derniers jours, tous les territoires conquis, bientôt, nous nous battrons sur nos propres terres. Si le front cède, si Sodem tombe, la capitale sera directement menacée, nous n'aurons d'autre choix que de négocier avec Zagnar. »
Un voile sombre traversa son regard. Il s'assit sur un siège de marbre.
« Je ne sais si Kalendor envisage la possibilité d'une trêve, d'une reddition. Pour tout vous dire, je ne peux pas même garantir que je serai encore là, le jour où vous reviendrez.
— Vous ne pouvez pas savoir. »
Il redressa la tête, indécis. Ignis marcha jusqu'à lui.
« Il y a trois ans, je n'imaginais même pas aller sur Zyx, il y a trois mois, je n'imaginais même pas une guerre avec Oriale, et, il y a trois jours, j'imaginais encore moins vous rencontrer. Alors, où serons-nous dans trois jours, dans trois mois, dans trois ans ?
— Vous avez sans doute raison. Il y a peu, le règne de Sméarn Pteï apparaissait absolu et nul n'aurait prédit sa chute. Même drapées d'un incommensurable pouvoir, nos existences n'ont, somme toute, qu'une prise limitée sur le chaos du monde. L'avenir se subdivise en d'innombrables embranchements, des potentialités, pour la plupart, hors de la portée de notre imagination. Seules restent quelques constantes, des certitudes, qui ne dépendent que de nous.
— Quelque chose comme ça », hasarda Ignis.
Le Prince se redressa, les yeux scintillants.
« Vous m'apparaissez digne de confiance et, si les dieux le permettent, ce sera un immense honneur pour moi que de devenir votre apprenti. Pour le reste, je ne peux rien vous promettre, si ce n'est que je vous apporterai toute l'aide que je pourrai. »
Forteresse d'Elna, quarante-deux jours après la mort du Général Chef
Une rafale glaciale secoua les drapeaux déchirés. Les souffles vespéraux, chargés de cendres, se mêlaient aux murmures des morts. Des symboles bleus brisés constellaient la plaine, écrasés par le grondement des bottes noires.
Après une journée de combats, la forteresse d'Elna était tombée. De tous côtés cédait le front sud sous les crocs kalendoriens. Alors que l'Orcalie opposait des forces similaires en nombre, le manque d'expérience, d'organisation et de stratégie venait de sonner l'une des plus grandes débâcles de son histoire. Désormais, un corridor désert s'ouvrait jusqu'à la capitale.
Une opportunité qu'entendait exploiter Zagnar.
« L'imbécile. »
Le poing noir du Commandant se crispa sur le message du Général. Le jeune homme n'avait écouté aucun de ses avertissements et entendait toujours frapper un grand coup avec la chute de Cénia, puis la reddition du Prince Bleu.
Une décision bien trop risquée, sans doute motivée par la fougue de sa jeunesse. Pourtant, en addition du Prince, Octale menaçait toujours Kalendor. Certes, Zagnar avait interrompu, malgré des moyens réduits, l'avancée des amazones rouges, mais dépêcher toute l'armée au sud laisserait Epithaï vulnérable.
Sans doute eût-il mieux valu faire preuve de patience, quitte à laisser le conflit s'enliser quelque temps. De négocier une paix blanche avec le Prince, le temps de régler le problème brocélien.
Car le serpent n'était pas mort. Et, un ennemi, seulement blessé un jour, ne garantissait aucun ascendant le lendemain. Bien au contraire. Pour véritablement remporter cette bataille, il eût fallu la tuer.
Le Commandant dégaina son arme et traça dans la pénombre des sillons invisibles. Les mêmes mouvements se répétèrent, en quête d'une perfection létale. S'entraîner l'apaisait ; il ne se sentait à sa place que sur le champ de bataille, à défier la faucheuse. Il ne se sentait vivant qu'à proximité de cette impitoyable compagne.
Que ferait Octale, maintenant ? Malgré sa réputation d'impulsivité, ses décisions répondaient toujours à une tactique planifiée. Dans un premier temps, elle attendrait, sans aucun doute. Elle attendrait que les armées noires soient suffisamment avancées dans les terres orcaliennes pour ne plus pouvoir protéger la capitale. Et alors, elle lancerait toutes ses forces dans une attaque-éclair dévastatrice.
Toutes ses forces...
Le Commandant s'arrêta.
Octale, en raison de ses blessures, n'accompagnerait sans doute pas ses troupes, au risque de les ralentir. À moins de rentrer à Kystan, elle resterait donc dans son campement provisoire du fleuve d'Aahrimbald. Un campement, lui aussi, laissé presque sans défense.
Un sourire sinistre éclaira le visage du Commandant. Même s'il devait suivre, pour l'heure, les ordres de Zagnar, les opportunités ne manquaient pas. Il rangea son épée dans son fourreau, et retrouva le campement de fortune, entre les ruines de pierres, et notamment, le centre de communication.
« Mettez-moi en liaison avec Rhampsodis Ragl », ordonna-t-il.
Il croisa les bras. Même s'il n'appréciait guère le caractère du Wienskrois, à commencer par sa brutalité gratuite, il devait lui reconnaître une certaine efficacité au combat, déjà prouvée lors de la dernière guerre. Et leur inimitié, bien que partagée, ne les avait jamais empêchés de collaborer, pour le bien de Kalendor. Ils n'avaient nul besoin de s'apprécier ; face au leurre des amitiés, les alliances duraient aussi longtemps que leurs objectifs communs. Aujourd'hui, encore, n'échapperait pas à la règle ; Rhampsodis n'aurait d'autre choix que d'accepter.
Les prochaines semaines s'annonceraient décisives.
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Les Présages des anges
Science FictionAvec l'ultimatum du Général Chef d'Oriale s'achève une paix de trois mille ans. La Fédération zyssienne doit désormais choisir : se livrer à son autorité ou bien subir l'invasion de son armée. Dans une tentative désespérée, un groupe de guerriers pl...