XIX-1 : Lorsque prendra fin la guerre

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La mort du Général d'Ostrie, Mang Tsalan Xersang marqua un nouveau tournant dans la guerre de succession d'Oriale. Malgré de nombreuses controverses, son Commandant, Xelang Rmangorath, se proclama Général dès le lendemain, et entama, aussitôt, une politique radicalement différente de son prédécesseur. Ainsi, il commença par mettre fin à la guerre contre l'Orcalie, et porta ses convoitises sur l'est du Furthyr, son propre pays d'origine. En effet, il conservait encore en mémoire son bannissement, sept ans auparavant, et abritait, en conséquence, une rancune tenace contre son ancien Général, Nadèle Nbremala.

Pour le Prince Bleu, alors malmené sur le front est, cette annonce fut, certes, un soulagement, mais trop tardive pour espérer le rapatriement de ses troupes et organiser le sauvetage de la capitale Cénia, directement menacée par Kalendor.

Son salut viendrait, deux jours plus tard, de la nouvelle offensive brocélienne. Dirigées par Esmène Vlata, les armées rouges écrasèrent la garnison kalendorienne restée au fleuve d'Aahrimbald et fusèrent à leur tour en direction de la capitale adverse, Epithaï, laissée presque sans défense.

L'affrontement entre Zagnar Pteï et Célestin Orsa menaçant d'entraîner, désormais, la chute de leurs deux capitales, et, à travers elles, leurs propres règnes, les deux Généraux n'eurent alors d'autre choix que de négocier une paix provisoire.

Hupias Ecterian, L'Ascension du 47e Général Chef d'Oriale


Cénia, cinquante-deux jours après la mort du Général Chef

Sodem Trean soupira.

Malgré le soleil radieux, malgré ces grandes portes d'azur qu'il espérait tant revoir, le goût amer de la défaite persistait dans sa bouche.

L'homme tourna la tête. Des phalanges déployées, seule restait une poignée de soldats dépenaillés, accompagnés de quelques chars endommagés. Les hommes marchaient à peine, les yeux embués de sommeil, embrumés de cauchemars. Quelques murmures inquiets accompagnaient leur retour, des familles en attente d'un proche se regroupaient sur les bas-côtés, et leurs regards scrutaient les rangs clairsemés.

Ils avaient perdu. Une défaite totale, insoutenable. Le Commandant noir ne craignait ni les hommes ni la mort, et, sous ses ordres, ses légions le suivaient avec ferveur, appliquaient sa redoutable efficacité.

Même avec deux fois plus de troupes, la situation serait, sans doute, restée la même. Aux premières difficultés, les renforts mercenaires s'étaient égaillés, tandis que l'armée régulière brisait sa formation face aux assauts noirs.

Et, maintenant, plus rien ne protégeait Cénia. Les tours de cristal retenaient leur souffle tandis que, sous leurs regards séculaires, s'échappaient de longues processions d'habitants. Sodem ferma le poing. Tous fuyaient les armées noires, ces mêmes armées qu'il s'était pourtant juré d'arrêter.

Il s'arrêta. Les flots de la foule s'écartèrent au passage d'une silhouette d'azur, encadrée de quelques gardes bleus.

Le Prince, Célestin Orsa.

Un tremblement parcourut son avant-bras, une vague de regret remonta depuis son ventre. Sodem posa pied à terre, retira son casque cabossé, au bleu noyé sous la poussière, et baissa la tête.

« J'assume l'entière responsabilité de cet échec ; pardonnez-moi, mon Prince. »

Ses yeux s'embuèrent. Combien d'hommes, sous ses ordres, disparus ou prisonniers ? La capitale laissée sans défense aux impitoyables crocs nordiques et le règne du Prince, plus menacé que jamais.

Une main gantée se posa sur son épaule.

« Relevez-vous, mon ami, l'heure n'est pas aux apitoiements. »

Il redressa la tête. Les yeux d'azur du Prince contemplaient le désastre.

« Zagnar Pteï a accepté une entrevue, ce soir même, en vue de la signature d'une trêve entre nos deux nations. Vos sacrifices n'auront pas été vains ; vous avez retenu nos ennemis suffisamment longtemps pour que la Brocélie les accule. Désormais, le temps joue avec nous ; ils ne peuvent espérer prendre Cénia sans perdre leur propre capitale.

— Mon Prince...

— Cette guerre prend fin ce soir », assura Célestin.

Sodem se redressa. Sa barbe mal taillée, ses cheveux bruns hirsutes, de même que les cicatrices de son visage accusaient le passage des années. L'homme avait pris la place de Commandant au terme de la précédente guerre. Au terme de l'hécatombe et des places laissées vacantes.

« À cette issue, je vous confierai une nouvelle mission », annonça le Prince.

L'homme fronça les sourcils. Dans l'ombre de son supérieur se détachait une silhouette frêle en costume sombre, au regard fuyant et incertain.

« La magicienne, mumura-t-il.

— Ignis Josana, présenta le Prince. Je vous saurais gré de l'escorter, dans les jours à venir, en territoire hostile. »

Les mains du Commandant se crispèrent.

« Mon Prince, je suivrai vos ordres et accomplirai votre volonté, mais... »

Son regard brûlant dévisagea l'extraorialestre. Une brise fraîche secouait les mèches cuivrées de ses cheveux, tandis que ses yeux verts contemplaient le lointain, comme étrangers à sa présence. D'ici, pouvait-elle contempler l'armée en approche, l'inévitable fléau, prêt à s'abattre ?

« Je ne peux que vous exhorter à la plus grande prudence, mon Prince, reprit Sodem. Les sorcières ont, dans les contes, la réputation d'ensorceler les cœurs des hommes. »

Il attendait une réaction de la Shawnienne, mais réalisa bien vite qu'elle ne comprenait pas un traître mot d'orcalien. À moins qu'elle ne jouât la comédie, pour mieux le piéger plus tard.

« Elle a passé le test ; je lui fais confiance, sourit le Prince.

— Elle... »

Il hésita.

« Aurait-elle pu n'agir qu'en fonction de ce que vous attendiez ?

— Pour cela, il eût fallu qu'elle lût mes pensées. »

Le Prince porta une main gantée à l'A.O.M. de saphir, fixé sur sa tête.

« Si quelqu'un, magicienne ou non, attentait à mon esprit, je le saurais. Pour le reste, je vous laisse seul juge. Vous avez toujours été d'un naturel méfiant, Sodem, et c'est votre rôle. Mais je ne doute pas qu'avec le temps, vous lui accorderez, de même, votre confiance.

— Si vous le dites. »

Le Commandant reporta son regard sur la jeune magicienne. Difficile de croire que, derrière cette frêle apparence, se dissimulaient des pouvoirs surnaturels. Même les gardes d'élite d'Oriale, qui pratiquaient la télékinésie et, dans une certaine mesure, la télépathie, ne pouvaient rien sans leurs A.O.M. Alors qu'elle, même sans appareil, même sans aide, commandait aux éléments de la nature, à la seule force de sa volonté.

Elle ne possédait d'humain que le leurre d'une apparence ingénue. Peut-être même choisie à dessein. Sodem plissa les yeux. Parfois, un mouvement de tête, un froncement de sourcil, une ride du visage trahissait des intentions dissimulées. Mais, malgré toute son expérience, impossible de déchiffrer ce masque étrange, ce regard insaisissable. Elle pouvait tout aussi bien se jouer d'eux, minimiser ou exagérer ses véritables pouvoirs, que d'agir en toute sincérité. De fait, elle représentait une incalculable menace.

Les mains de Sodem se crispèrent. Quelles que soit les épreuves, il continuerait de protéger le Prince, sa nation, aussi bien contre le fléau noir que des créatures surgies d'outre-espace. Zagnar pouvait signer la paix, la guerre prendre fin, mais son combat, lui, ne s'achèverait jamais.

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