XXI-3 : Ce pour quoi nous nous battons

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« Ne regardez pas le soleil directement ou vous allez vous abîmer la rétine », prévint Mark.

Ishtar tourna la tête dans sa direction, avant de se figer. Deux policiers, en uniforme blanc et gris, patrouillaient à vingt mètres, en partie masqués par une foule hétéroclite.

« Arrêtez de vous inquiéter pour tout, je les ai déjà vus, et ils ne risquent pas de nous remarquer. »

Il passa son bras sous le sien.

« Faites comme moi ; marchez comme si vous étiez à votre place, ici, comme si ce lieu vous appartenait, comme le pense chacun des milliers d'individus autour de nous. C'est dans le cas inverse qu'on vous remarquera.

— Facile à dire pour vous.

— Tant que votre visage reste dissimulé, vous ne risquez rien ; vous ressemblez à n'importe quelle femme, et moi, à n'importe quel homme. Par ailleurs, pour information... »

Il désigna un trio d'orbes noirs, discrètement accrochés aux frontons de bâtiments blancs.

« La recherche d'individus est, désormais, principalement accomplie par la reconnaissance faciale des caméras. »

Un tressaillement parcourut le bras d'Ishtar ; Mark la guida jusqu'à un parc proche et la jeune femme s'effondra dans un banc transparent. Malgré l'altitude, les feuillages verts les entouraient, des grappes de fleurs indigo retombaient jusque sur les accoudoirs.

« Pourquoi m'avez-vous amenée ici ? souffla la jeune femme.

— Qu'est-ce que vous voyez, autour de vous ? »

Autour d'eux, les passants vaquaient à leurs occupations, certains déguisés, d'autres non, d'autres, encore, seulement masqués, comme eux. Certains marchaient, couraient, parlaient, criaient, s'interpelaient, ou encore lançaient des volées de confettis.

« Euh... des gens ?

— Exactement. »

L'homme s'assit à ses côtés.

« Nous sommes entourés de gens, qui vivent leur vie, qui, pour la plupart, se fichent de la politique et ignorent tout de ses secrets.

— Des imbéciles.

— Vous seriez à leur place, si vous étiez née différemment. »

Il tendit le bras au hasard de la foule. Un homme affublé d'orange s'occupait à réparer le système d'aspiration d'une poubelle défectueuse. Un cadre commercial en costume gris impeccable, adossé à un arbre, conversait dans une oreillette à demi dissimulée. Un groupe d'enfants jouait sur une aire de jeu, escaladait les tours d'un château de bois, inventait des légendes de princes et de dragons. Une jeune femme, assise à la table transparente d'un café, attendait, un verre de grenadine à la main. Sur un pont proche, en contrebas, défilait un cortège de carnaval, mené par un char en fleurs, des acrobates dansaient, quelques musiciens enchaînaient les arpèges électriques. Peut-être le clown de l'ascenseur se trouvait-il parmi eux.

« Regardez-les dans leur unicité, car chaque personne est le résultat d'une somme infinie d'aspirations, de rêves et de principes. De même que vous êtes unique. Il n'y a jamais eu d'autre Ishtar telle que vous, et il n'y en aura jamais d'autre telle que vous. Vos rêves, vos pensées, sont les vôtres, de même que votre avenir n'appartient qu'à vous.

— Il y a eu ma mère, objecta Ishtar.

— Votre mère n'avait que votre nom en commun. Elle n'était pas vous, de même que vous ne serez jamais elle. Et vos choix différeront, en partie, des siens. »

Les Présages des angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant