Le couloir multicolore se dissipa pour révéler une grande coupole, une succession de piliers et d'arcades en pierre grise.
La jeune femme tituba sur le dallage froid. Dans sa main gauche, de nouvelles teintes colonisaient sa Pierre d'Origine, comme pour attester de sa nouvelle propriétaire. Elle étendit le bras droit, le replia, le déplia de nouveau, comme pour constater, une nouvelle fois, l'impensable. Le membre s'arrachait à la combinaison déchirée, sans plus aucune blessure, pas même une cicatrice. Elle agita ses longs doigts, bascula sa main, redescendit sur l'entaille au niveau des côtes. Un trait net découpait le tissu noir taché d'écarlate, pour ne plus révéler qu'une peau blanche miraculée. Enfin, elle remonta sur le menton, lui aussi indemne, et arracha sa cagoule empoissée de sang. Elle pouvait de nouveau parler, remuer la mâchoire, comme si rien n'avait eu lieu, rien n'avait existé.
Un rire soulagé remonta du plus profond de son âme. Le cauchemar prenait fin ; en ce jour béni se brisaient, enfin, les chaînes de sa destinée. Elle abandonnait, derrière elle, l'oppression d'un monde maudit ; jamais elle ne s'était sentie aussi libre.
« Ô toi, dont les pas ont atteint l'orée du Monde, es-tu digne de fouler ce lieu éternel ? »
Elle redressa le regard sur un immense rocher, planté au centre de la pièce. Une statue de roche, barbée de métal, Plusieurs mètres de muscles hypertrophiés qui, dans un formidable grondement, s'ébranlèrent.
Peu importait. Depuis sa victoire sur les démons blancs, Ishtar se sentait invincible, des flots d'adrénaline pulsaient déjà dans ses veines. Elle chercha ses dagues, avant de se rappeler les avoir perdues sur Zyx, fouilla ses poches. Seuls lui restaient l'inhibiteur ainsi qu'un téléphone modifié, le dernier cadeau de Mark.
Un sourire nerveux redressa ses lèvres. Aucun réseau, bien évidemment. Elle était sans armes, seule, sans doute à l'autre bout de la Galaxie, et le sol tremblait sous les pas d'une montagne agressive. Une nouvelle fois, les mots puissants, comme l'expression d'une force ancienne, oubliée dans des fleuves immémoriaux, résonnèrent à l'orée de son esprit.
« Ici, des siècles d'Histoire nous contemplent. Car tous les chemins mènent ici, tous les chemins commencent ici. Je suis Raghlöor, le dernier Titan, et juge du Passage. Derrière moi s'écrivent les légendes, bonnes comme mauvaises, l'Ombre et la Lumière. Toi, quel est ton nom ? »
Son cœur accéléra. Jamais elle n'abandonnerait. Pas après tout ce qu'elle avait traversé. Plus rien ni personne ne barrerait son chemin. Même à mains nues, même lorsque s'effacerait tout espoir, elle ne battrait jusqu'aux dernières de ses forces.
« Je suis Ishtar ! clama-t-elle. Je viens rejoindre l'Ordre noir, comme ma mère avant moi ! »
Elle avait traversé l'Enfer, tué son premier démon ; plus rien ne l'effrayait, ni la souffrance, ni même la mort.
« Ishtar ! Les faibles n'ont guère de place ici, prouve-moi donc ta vaillance ! », tonna le Titan.
Un poing démesuré fusa, qu'elle esquiva de justesse. Les dalles éclatèrent, des copeaux fusèrent. Ishtar se retourna vers le dos, chercha une prise sur l'épaisse carapace. Un bras la percuta. Souffle coupé, elle quitta le sol, s'écrasa plusieurs mètres plus loin.
La créature, aussi massive parût-elle, dissimulait une vivacité insoupçonnée. Elle toussa, le dos arraché contre la pierre, le ventre encore douloureux. Déjà, le monstre se jetait sur elle, sans lui accorder le moindre répit. Presque par réflexe, Ishtar roula, se redressa dans le même mouvement. Les impacts des poings dévastaient le sol, leur souffle jeta des brassées de poussière dans ses yeux.
« Jamais... Jamais je n'abandonnerai ! » s'emporta-t-elle.
De nouveaux bras l'effleurèrent. Elle recula, chercha la distance, mais le Titan se montra encore plus rapide. Comment vaincre l'invincible ? Les démons blancs, malgré leurs pouvoirs, restaient organiques. Ils saignaient, ils mouraient. Ici, même ses dagues ne lui auraient été d'aucune utilité ; rien ne briserait des mètres de roche animée. Elle pesta, pria sa propre magie, mais ses doigts restèrent inertes. Alfonsi avait à tout jamais arraché une part d'elle-même, le propre don de sa mère.
Une main effleura son visage avec toute la délicatesse d'un bloc de fonte. Le choc partiel brouilla sa vue, un bourdonnement siffla dans ses oreilles. Elle tombait.
Une sourde colère remonta dans ses veines.
Jamais elle n'abandonnerait !
Une jambe salvatrice interrompit son déséquilibre. Après tout ce qu'elle avait vécu, tout ce qu'elle avait souffert, cette douleur n'était rien ! Comme animées de leur propre volonté, ses mains se redressèrent, se tendirent en direction de l'écrasante masse sombre. Et, comme si son âme tumultueuse remontait jusque dans ses phalanges, ses ongles crachèrent un crépitement rouge.
Sa Pierre ! Elle n'espérait même plus retrouver un jour pareille sensation ; Alfonsi avait arraché son don, mais l'artefact divin lui prêtait ses propres pouvoirs ! Des arcs instables étendirent leurs ramifications erratiques, arrachèrent une mélodie furieuse à l'atmosphère. Et, dans l'exaltation d'une poignée de secondes, Ishtar interrompit l'assaut du Titan. Enflammée d'espoir, elle redevenait entière, elle...
Sa magie s'éparpilla dans des relents ozonés, alors qu'une main implacable l'écrasait au sol. Elle cracha du sang, un voile obscur colonisa sa vision.
« Fin du test. Durée : 59 secondes. »
La poigne reflua. Ishtar resta immobile quelques instants à reprendre sa respiration, à recouvrer une conscience vacillante. Déjà, le colosse rejoignait le centre de l'arène, pour se statufier dans sa première position.
« Lumière ou Ténèbres, fais ton choix, maintenant. »
Un test ? Elle avait presque envie de rire, si ce n'étaient ses côtes endolories. Des bruissements marquaient tous ses membres, du sang gouttait dans son dos arraché.
La jeune femme se redressa, portée par une furieuse détermination. Malgré les protestations de son corps, une sérénité nouvelle explorait son âme. Cette nouvelle vie, la cristallisation de tous ses rêves, de tous ses espoirs, enfin, lui tendait les bras.
Lumière ou Ténèbres.
Deux ouvertures perçaient des arches de pierre opposées. La première vomissait une écœurante blancheur, l'autre étendait le réconfort de sombres volutes. Les anges, avant de prendre leur envol, rappelaient leur choix, leur allégeance. Et, alors qu'apparaissait l'hypnotique présence noire, les crimes blancs brillaient dans toute leur horreur. Ils avaient eu le choix. Ils avaient choisi ce qu'ils étaient devenus. Ils méritaient la mort. Et elle les tuerait, désormais, elle traquerait chaque démon, jusqu'à ce que tombe leur maître, jusqu'à ce que s'efface la gangrène du Diable Blanc. Ainsi, seulement, nul ne souffrirait plus jamais de leurs exactions.
Sans hésiter, ses pieds avalèrent les dalles lisses pour la mener devant l'ombre attentive. Ses doigts blancs effleurèrent le nuage un dernier instant, le rêve de toute une vie. Elle n'attendrait pas davantage.
Elle s'arma d'une solide inspiration et, les yeux mis-clos, traversa le voile. Une gelée froide épousa son visage, son corps, pour se résorber dans un bruit de succion. L'arène, le colosse, s'effacèrent en souvenir, emportés par un souffle de flocons argentés.
Un sol noir accueillit son pied. Un nuage, quelques volutes indéfinies, qui supportait pourtant son poids. Elle cligna des yeux pour s'habituer à l'obscurité, tourna la tête.
Deux silhouettes perçaient les Ténèbres. Une femme à la peau vert clair s'approcha d'elle, agita des bras frêles, comme pour saluer son arrivée dans une langue inconnue. Sur sa peau s'agitaient des coquillages variés, accrochés à quelques vêtements bleu clair légers. Ses grands yeux irisés mêlaient le cyan à l'émeraude et ne reflétaient d'une rassurante bienveillance. Enfin, une armure noire restait à distance, quelques mètres plus loin et, bras croisés, accompagna son arrivée d'un signe de tête.
Ishtar leur rendit leur salut. Et un espoir incontrôlable embrasa son cœur. D'autres anges noirs suivaient la même quête, honoraient l'héritage de sa mère. Elle n'était pas seule. Elle ne le serait plus jamais.
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Les Présages des anges
Ciencia FicciónAvec l'ultimatum du Général Chef d'Oriale s'achève une paix de trois mille ans. La Fédération zyssienne doit désormais choisir : se livrer à son autorité ou bien subir l'invasion de son armée. Dans une tentative désespérée, un groupe de guerriers pl...