Chapitre 16

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[Ashley]

Je reconnaîtrais cet homme entre mille et le fait que mes collègues aient eu à lui faire face me terrorise de tout mon être. Si jamais je perdais ce boulot, encore une fois, je ne me relèverais pas, j'en étais intimement persuadée. Je n'aurais plus la force physique et mentale pour mener ce combat bien trop brutal. J'avais trop souvent perdu face à cet homme dont le seul but était d'obtenir de l'argent. Je ne pouvais pas imaginer ce qui m'arriverait, ce que je deviendrais. M'en sortirais-je ?

Debout face à moi, il avait le regard braqué sur mon bureau encore recouvert de papier en tout genre. Ce n'est que de longues minutes plus tard qu'il releva enfin la tête vers moi, affichant un sourire suffisant qui me glaçait le sang. Si je devais détester une personne, ça serait bien lui. Dans les faits, il ne m'avait absolument rien fait, à part réclamer son dû, chose qui était normale, mais je ne pouvais m'empêcher de le haïr pour tout ce qu'il représentait à mes yeux. Il me rappelait sans cesse que je n'avais plus personne, que mes parents étaient partis et que les problèmes eux étaient encore bien présents. Si j'avais oublié tout le poids que cela entraînait dans les bras de Kyle, j'avais eu droit à un rappel à l'ordre magistral. Une véritable claque en pleine face. Jamais il ne s'était présenté en personne à mes anciens emplois et le fait qu'il soit à quelques pas à peine de moi à cet instant précis ne me rassurais pas du tout. Ça n'augurait vraiment rien de bon. Ça me terrorisait du plus profond de mon être.

Pendant un long moment, j'avais espéré que tout ceci soit une simple blague de très mauvais goût de la part de mes géniteurs, mais j'avais fini par ouvrir les yeux et réalisé qu'ils ne reviendraient plus jamais. Que jamais plu, je ne verrais le sourire rayonnant de ma mère, que jamais plus je n'entendrais les cris de joie de mon père. Aujourd'hui, je faisais face à une profonde solitude et à l'homme à côté de moi dans un costard coûtant au moins mon loyer annuel, si ce n'est plus.

- Monsieur Lewis, l'interpellais-je.

Il se retourna avec une lenteur folle, à croire qu'il jouait avec mes pauvres nerfs déjà terriblement tendus et à vif depuis mon arrivée au bar. Depuis ce que m'avait annoncé Johanna.

- Mademoiselle Summers, dit-il, quel plaisir de vous revoir.

Je ruminais dans ma barbe, me retenant de lui dire ses quatre vérités, me retenant de lui dire que le plaisir était loin d'être partagé. Je n'avais rien à gagner à contrarier cet homme bien au contraire et je le savais pertinemment. Lui aussi sans l'ombre d'un doute. Je l'invitai à s'asseoir dans le fauteuil dos à la fenêtre tandis que je pris place dans le mien de l'autre côté de mon bureau. Nous devions parler, je le savais, il le savait également. S'il s'était déplacé en personne c'était que ça ne pouvait pas attendre notre prochain rendez-vous que je n'avais pas encore fixé.

- Mademoiselle, reprit-il, je suis navré de venir vous importuner sur votre lieu de travail, vraiment. Cependant, nous devons discuter du reste de votre dette à rembourser. Il ne vous reste que quelques semaines à peine, j'en ai bien peur. Je m'inquiète quant à votre possibilité de régler vos problèmes d'ici là.

- J'en ai bien conscience monsieur. Mais je peux vous assurer que je fais mon maximum pour vous régler la somme dans les délais impartis.

Il gigota sur son siège, presque gêner de cette conversation entre nous. Mais un homme comme lui n'avait que faire des belles paroles de ses clients du moment qu'il obtenait ce qu'il voulait. Il n'avait pas l'air convaincu par mes propos et j'espérais au plus profond de moi que cela suffirait à apaiser cet homme qui n'en voulait qu'à mon compte en banque et au nombre de zéro que je serais capable d'aligner sur un chèque.

- Mademoiselle Summers, dit-il, si vous ne vous acquittez pas de cette somme en temps et en heure je me verrai dans l'obligation de prendre des mesures radicales vous concernant. J'espère ne pas avoir à en arriver là, de tout cœur.

J'acquiesçai de la tête, bien consciente des conséquences probables relative à ma situation, je devais absolument trouver cet argent quitte à prendre un deuxième emploi pour les trois semaines à venir. Je connaissais l'ampleur de mes problèmes, mais je savais plus encore de quoi il était capable s'il ne recevait pas mon chèque dans les prochaines semaines. Sur ces belles paroles lourdes de conséquences, il s'était levé en silence et était reparti aussi vite qu'il était arrivé au sein de mon espace de travail, me laissant seule dans mon bureau plonger dans mes pensées que je ne dirais que trop sombre et peu optimiste.

L'accident de mes parents me revient encore un peu plus en mémoire et les larmes me montaient aux yeux. Ma respiration était saccadée et j'avais de plus en plus de mal à m'oxygéner. Perdue dans cette tourmente, je n'entendis presque pas les coups faibles frapper à ma porte. Johanna fit son entrée dans la pièce, ne prononçant aucun mot, elle se contenta de se baisser à ma hauteur et de me prendre dans ses bras. Elle me consola sans un mot, semblant comprendre que je ne pouvais prononcer un seul mot concernant la venue de cet homme qui hantait mes cauchemars les plus noirs. Mais il fallait que je me fasse une raison, ils avaient tous compris qu'il y avait un problème et à en croire le regard de Dan lorsque je suis arrivée, lui semblait savoir exactement de quoi il en retournait. J'ignorais si Monsieur Lewis lui avait parlé ou s'il l'avait compris tout seul, mais si j'avais cherché à lui cacher ma détresse, aujourd'hui, je pouvais être sûre qu'il était au courant, comme chaque membre de cette équipe qui m'avait accueilli les bras ouverts. Trop désespéré de cette situation je n'osai plus sortir de mon bureau pour leur faire face le reste de la journée.

Trop secouer par l'apparition soudaine de mon huissier, j'avais demandé à Dan de me laisser faire la soirée en télétravail. J'avais la chance d'avoir un employeur compréhensif qui avait connu mes parents dans leur folle jeunesse, si ça n'avait pas été lui, je me serais certainement déjà retrouvé sans emploi sans le moindre doute. J'étais consciente que je lui en demandais beaucoup, mais si je pouvais faire autrement, je l'aurais fait sans hésiter. Dans cet état, je ne lui serai d'aucune utilité ce soir et j'aurais même très certainement gêné l'équipe dans leurs tâches en salle.

J'étais descendu le regard dans le vide, presque dans un état second, ne lançant aucun regard autour de moi, j'avais simplement appelé Oscar du bout des lèvres pour rentrer chez nous. Personne n'avait osé prendre la parole, même Kyle était resté silencieux à mon passage et je ne vais pas mentir, je le remerciais grandement à ce moment-là. Je n'avais pas besoin qu'on m'accable de questions de toute sorte, je devais rentrer chez moi, sortir mon carnet de compte et faire le point pour voir comment j'allais réunir cette modique somme d'argent d'ici quelques malheureuses semaines.

BarmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant