Chapitre 20

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[Ashley]

La soirée battait son plein, la musique résonnait dans le bar et les premiers groupes d'étudiants avaient déjà fait leur entrée déchaînée. Johanna et nos deux merveilleux barmen couraient de tous les côtés afin de répondre à chaque commande passée. Dan semblait très heureux de cette avant-première de scène ouverte. Quant à moi, je courrais avec Jo en salle et j'accueillais les groupes au fur et à mesure de leur arrivée, les présentant au public à chaque nouvelle entrée sur scène.

Une étudiante était au micro et interprétait Love Song de Sara Bareilles. Dès les premières notes, j'ai été transpercé et j'ai commencé à chercher Kyle du regard derrière son comptoir. Cette chanson était magnifique et nous reflétait bien. Lorsque je croisai son regard, nous nous étions compris, son regard s'adoucit et il m'offre un merveilleux sourire auquel je répondis.

[Kyle]

Le bar était au grand complet ce soir, toute l'équipe était mobilisée et était au branle-bas de combat. Nous courrions dans tous les sens, mais malgré cette agitation, je ne perdais jamais ma jolie blonde des yeux bien longtemps. Il fallait dire qu'elle était petite et qu'avec cette foule, il était très facile pour elle de se fondre dans la masse.

Un groupe de jeune d'une vingtaine d'années s'approcha du bar des instruments à la main. Je savais pourquoi ils étaient là, ça avait été comme ça depuis le début de la soirée. Je pointai Ashley du doigt plus loin dans la foule silencieusement, ils me firent un signe de tête pour me remercier et partir dans sa direction sans m'adresser un mot de plus.

- Et bah, quelle soirée, entendis-je, c'est que tout le monde veut voir Ash cette semaine.

Les propos de Johanna résonnaient dans ma tête comme une alarme qu'on venait d'enclencher, qui donc pouvait bien chercher Ashley alors qu'elle n'avait plus personne à part nous ? Comme si elle avait lu dans mon regard Jo m'apporta plus de précision sur sa remarque précédente, presque gênée de m'avouer toute l'histoire.

- Alice est passée la voir dans la semaine, finit-elle par dire.

À l'énonciation de ce fait, j'ai bien cru m'étouffer. De quel droit ma mère essayait encore une fois de s'introduire dans ma vie ? Et en utilisant ma jolie blonde en plus ! Hors de moi, je me dirigeais furieusement vers celle qui me faisait perdre la tête sans que je n'y comprenne grand-chose. Elle ne comprit pas ce qu'il se passait, mais je crois qu'elle s'en douta lorsque je lui fis face hors de moi entre les quatre murs de son petit bureau dans lequel elle venait de rentrer. Sans m'en rendre compte, je me mis à hurler.

- Elle ne t'a rien fait ? Cette femme est folle, bon Dieu !

Je commençai à examiner ses bras pour vérifier qu'il n'y a pas aucune trace de piqûre ou autre. Si Alice s'en prenait à Ashley je crois bien que je serais capable du pire et surtout sans aucun regret. Nous ne nous connaissions pas depuis longtemps, mais grand dieu que je tenais à elle et à elle seule.

- Kyle ! Kyle arrête, mais qu'est-ce que tu fais bon sang ? Entendis-je. Tu me fais mal.

Elle s'agita entre mes mains, mais je n'écoutais pas ce qu'elle me disait, bien trop occuper à vérifier si elle allait bien après avoir croisé la route de cette femme diabolique, manipulatrice et sans cœur.

- Mais arrête, je t'ai dit ! Hurla-t-elle à son tour.

- Cette sorcière ne s'approchera plus jamais de toi ! Répondis-je avec la même fureur. Ni d'aucuns d'entre vous d'ailleurs, tu m'entends.

Elle semblait désarçonner face à la réaction que j'avais. Mais elle ne savait pas, elle ne savait pas de quoi cette femme était capable, elle ne savait pas ce qui était en jeu ici, elle ne savait pas ce qu'elle m'avait fait par le passé. Elle ne pouvait pas savoir. Elle ne devait pas savoir. Je ne voulais pas être un petit orphelin sans défense à ses yeux. Je voulais qu'elle voie l'homme, l'homme qui était là pour elle, l'homme solide et indépendant que je m'étais évertué à devenir chaque jour un peu plus.

- Tu devrais peut-être écouter ce qu'elle a à te dire, me dit-elle.

- Tu ne peux pas comprendre. Répondis-je.

Elle tenta de m'attraper le bras, peut-être dans un geste de tendresse, peut-être dans un geste de désespoir, je n'en savais rien et je ne voulais pas le savoir. Jamais plus Alice ne s'approcherait de la femme qui partageait ma vie. Mais ce que je savais en revanche, c'est que cette conversation sur ma génitrice commencerait sérieusement à me pomper l'air alors qu'elle ne méritait aucune de mes pensées.

- Ashley, tu ne peux pas comprendre, laisses tomber. Hurlais-je à plein poumon.

Hors de moi, je devais bien me douter que cette femme à laquelle je m'étais attaché si rapidement et qui partageais mon quotidien avait une repartie sanglante dont je n'étais pas prêt à faire face. Oh ça non, je n'étais pas prêt.

- Non, en effet, je ne comprends pas comment une mère peut faire subir ça à son fils, mais je ne comprends pas comment, toi, tu peux balayer ta mère d'un revers de bras alors qu'elle semble souhaiter si fort faire partie de ta vie Kyle. Elle le souhaite de toutes ses forces.

- Tu ne peux pas comprendre Ashley, ça suffit maintenant ! Hurlais-je plus fort que je ne l'aurais voulu. Tu ne comprendras jamais, tu ne la connais pas. Tu n'as pas une mère aussi folle que cette femme.

Le bureau de ce que j'appellerais ma petite amie devint soudain très calme, trop calme même, beaucoup trop calme à mon goût. Il y régnait un silence olympien et je craignais en être la cause. J'avais côtoyé beaucoup de femmes, juste par plaisir, après tout, je n'étais pas un moine non plus, je savais pertinemment qu'elles n'étaient que des pipelettes qui vous cassaient les oreilles à longueur de journée. Mais je savais aussi qu'Ashley était différente et que son silence pouvait vous terrifier au plus haut point. Elle ne parlait plus, plus un seul son ne sortait de sa magnifique bouche que j'avais si souvent embrasser, mais le ton qu'elle employa me fit tout de suite regretter ce que je venais de faire, ce que je venais de dire sous le coup de la colère que j'avais pour ma génitrice et son regard m'acheva encore un peu plus.

- J'aurais absolument tout donné, j'aurais tout donné pour avoir, ne serait-ce que quelques secondes de plus avec la mienne. Alors ne vient pas me dire que je ne comprends pas Kyle. Peut-être que je ne sais pas ce que tu ressens, mais au moins toi, tu as encore une mère, une mère qui t'aime et qui souhaite te connaître, une mère qui est en vie, elle. Me répondit-elle le plus calmement du monde, presque froidement.

Une larme roula le long de sa joue et c'est là que je me rendis le plus compte de l'énormité de ma bêtise. Peut-être que ma mère m'avait fait souffrir par le passé, mais la femme en face de moi ne méritait pas ma colère. Elle ne la mériterait jamais. J'avais longuement parlé avec Dan après la venue de cet homme, l'huissier, et alors j'avais pris conscience de l'enfer qu'elle avait traversé et qu'elle traversait encore, seule aujourd'hui. J'avais voulu être à ses côtés, non par pitié, mais si j'osais le dire par amour pour elle, et aussi par fierté. J'étais fière de cette femme qui luttait sans relâche chaque jour qui lui était donné pour essayer de redresser la barre et de ne pas se laisser abattre. Parce qu'elle avait connu ce que personne ne devrait connaître, la perte de ceux qu'elle aimait le plus au monde. Et pourtant elle ne renonçait pas à la joie de vivre ni au bonheur. Si au début, j'avais vu en elle une simple femme qui n'en faisait qu'à sa tête aujourd'hui, je comprenais pleinement pourquoi et je voulais la soutenir du mieux que je le pouvais. Mais j'avais merdé et je le compris en la voyant m'ouvrir la porte pour m'inviter à sortir de son bureau, sans un mot et les yeux embrumer de larmes, et cela, par ma faute.

BarmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant