Le Test De L'Eden

Chapitre 26 : Isaac Miller

Année 2155

J'en veux toujours à Matt pour ce qu'il a fait. C'est vrai qu'il devait se défendre, mais maintenant, nous sommes de vrais criminels, on ne nous le pardonnera jamais.
Mais Eren à raison, nous sommes censés être une équipe et dans une équipe les gens sont soudés.
Alors je lui ai pardonné.

Sa jambe va mieux de jours en jours, je lui change régulièrement à la même heure son bandage, chaque fois dans le silence lorsque nous nous remémorons ce qui lui a causé sa blessure.
Nous avançons un peu chaque jour. L'un de nous fait l'éclaireur - et en l'occurrence, c'est Eren ou moi - tandis que l'autre aide Matt à avancer lorsqu'il a trop de mal. D'après la carte, nous avons parcouru 31 km en trois jours, depuis que Matt est revenu.
Il n'y a pas eu trop d'embûches dans l'ensemble, parfois nous entendions des voix, alors nous reculons et nous nous  cachons en attendant que cela passe.
Et dans ces moments-là, je peux vous dire que le silence est si pesant qu'il en devient vite insupportable.

Mais aujourd'hui, il ne reste plus que 13 km à parcourir pour arriver à la limite de Millenia. Nous avons été assez rapides compte tenu de la blessure de Matt et des patrouilles beaucoup plus nombreuses ici depuis (j'imagine) que la mort d'un soldat à été repérée.

Je suis levé depuis deux bonnes heures, c'était l'heure de mon tour de garde, mais rien de spécial ne s'est passé, comme d'habitude. Enfin, il y avait bien quelques bruits étranges, mais ce ne sont que de simples bruits de la forêt : le vent, les voix au loin portées par ce dernier et les respirations saccadées de mes amis.
Le Soleil commence à baisser dans le ciel, encore une dizaine de minutes et il fera assez sombre pour que je réveille les autres. Nous marchons de nuit pour passer plus inaperçu, même si les patrouilles sont encore plus nombreuses à cette période de la journée, mais c'est le meilleur moment pour devenir invisible à travers les branchages.

La luminosité baisse petit à petit alors que je réveille Matt et Eren, qui grommellent quelques mots incompréhensibles lorsque que je les secoue.

« Il est l'heure. Courage, il ne reste plus qu'une journée avant d'arriver à la dernière partie du plan... Edenia ! » Je leur lance énergiquement, les sortant de leurs songes.

« Ouais... bah on aurait pu se lever plus tard vu qu'on a moins à marcher...  » Murmurre doucement Matt à Eren mais j'arrive à les entendre et je souris de sa paresse.

« Tu pourras dormir autant que tu le veux à Edenia, Matt, ne t'inquiète pas. » Je lui répond tout en terminant de ranger mes quelques effets personnels dans mon sac.

C'est-à-dire une boussole, un canif, un harmonica - Je n'avais pas pu prendre ma guitare avec moi, je me suis donc rabattu sur ça... - et un bracelet que je ballade depuis mes douze ans. C'est la seule chose qu'on m'a permis de garder, un simple bracelet tressé rouge, orange et de petites perles grises disposées d'une façon spéciale. Je ne le garde que parce que c'est sentimental, je l'aurais jeté il y a bien longtemps s' il n'appartenait pas à mon ancienne vie.

J'ai tellement hâte de retrouver les papiers de mon existence... Et tellement peur également ; et si je trouvais une chose tellement horrible qui ferait que je méritais vraiment d'être à Abstractia ? Si je trouvais que je n'ai même plus de famille ? Que j'ai fait tout ça pour qu'on nous attende à la Tour ?
Non, toujours rester optimiste. Il ne va rien se passer de mal, il suffit d'espérer.

Après que tout le monde se soit enfin réveillé, qu'il ne reste plus aucune trace de notre passage ici et que je me suis assuré qu'il n'y avait personne aux alentours, nous partons, moi devant et Eren avec Matt pour le soutenir.
Il fait déjà nuit noire après quelques minutes et je suis obligé d'allumer ma lampe frontale sur l'intensité moyenne pour être sûr de voir quelque chose.

Je devance mes amis de plus ou moins 12 mètres mais rien en vue, juste l'étrange impression que les arbres ont des yeux... Mais chaque fois que je me retourne en sursaut après avoir entendu du bruit, je me retrouve seul comme un idiot à regarder des branches qui menacent de m'attaquer à chaque bourrasque de vent.

Soudain, je suis sûr d'avoir entendu du bruit. Je tourne la tête précipitamment vers la source de ce bruit mais rien... Je soupire et m'apprête à me retourner sur le chemin lorsque je sens une présence derrière moi qui m'appuie sa main sur la bouche.
Je crie de stupéfaction en appelant mes alliés mais la main appuie tellement fort qu'il m'est impossible de sortir le moindre son. On m'emmène vers l'arrière et j'ai à peine le temps de respirer lorsque la main part qu'on me remet un tissu dans la bouche et un autre sur les yeux. Mes mains sont attachées derrière mon dos et on me pousse pendant plusieurs minutes infinies vers une orientation que je ne reconnais pas.

Enfin, on me pousse à terre en faisant craquer mes os et on m'attache à ce qui me semble être un arbre. Quelqu'un arrache le ruban qui me rend aveugle d'un coup sec et je parviens enfin à voir où on m'a emmené.
Je suis dans une espèce de campement, rempli de personnes en tout genre qui me fixent intensément d'un air suspect. On m'a posé au centre d'une petite place juste en lisière de la forêt, et des gens commencent à s'asseoir devant moi comme s'ils attendaient quelque chose de ma part... Ou de la part de quelqu'un qui se trouve derrière moi. Je me retourne autant que je le peux et découvre une scène qui me rassure autant qu'elle me fait peur.
Des hommes traînent Matt et Eren vers l'endroit où je suis, ils ont l'air aussi impuissant que moi, bâillonnés et attachés de partout. Une Femme à la peau terne et aux yeux bridés les suit, la tête haute, regardant son "peuple" avec un air victorieux.

Elle attend que Matt et Eren soient libres de leur vision et solidement attachés à des arbres à côté de moi pour s'avancer au milieu des gens et de nous.

« Convocation nocturne 32, conseil des étrangers, par Myronna Lloyd, cheffe des rebelles. » Elle lance à tous ses compatriotes assez fort pour que même les derniers rangs l'entendent.

Des rebelles de Millenia... Je ne pensais pas qu'il pouvait exister ce genre de personnes ici en sachant comment ceux qui vivent à Abstractia sont déjà durement traités.
J'échange un regard avec mes amis avant que la dénommée cheffe recommence à parler, cette fois en nous regardant tous les trois.

« D'après le rapport de Mack, Finn et de toute l'équipe de nuit de cette semaine, ces trois là se dirigent vers Edenia d'une manière très louche et le garçons à la peau la plus foncée est blessé au genou par ce qui paraît être la balle d'un fusil de soldat. On ne connaît ni leur but, ni leurs identités. Qu'en pensez-vous ? » Demande-t-elle soudain aux autres, attentifs au moindre de ses mots.

Les gens lèvent soudainement leurs bras en criant tous des choses différentes et en nous pointant du doigt d'un air énervé pour la plupart.

« Qu'on les emprisonne ! »

« C'est vrai, on ne les connaît pas après tout ! »

« Moi je pense qu'on devrait les rendre aux autorités locales en échange de denrées !  »

« Autant tirer parti d'eux ! Ils pourraient travailler pour nous ? »

« Non, imagine si ils sont dangereux !  »

« J-je pense qu'on devrait l-laisser ces jeunes hommes nous raconter leur histoire a-avant de les condamner. » Dit soudain une voix de vieillard qui fait taire toutes les autres.

Un vieil homme s'avance vers la cheffe avec sa canne en tremblotant de tout son corps.

« Myronna, p-pourquoi ne pas procéder à un in-interrogatoire ? » Lui demande-t-il de sa voix chevrotante, souriant comme s'il avait déjà réussi à convaincre sa cheffe.

De son côté, la cheffe le regarde en réfléchissant intensément en bouclant ses cheveux avec son doigt d'un air distrait.

« D'accord papa. Après tout, c'est toi le chef si tu le décides. Tout le monde, préparez-vous pour un interrogatoire passionnant comme vous ne l'avez jamais vu ! »