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Je trépignais d'impatience en me balançant d'un pied sur l'autre alors que la file continuait d'avancer petit à petit. J'étais définitivement pas dans le mood que je m'étais imaginé lorsque j'avais acheté ma place, quelques mois plus tôt. J'avais le cœur qui battait la chamade mais ce n'était pas parce qu'il se trouvait à quelques pas de moi, c'était parce que ma vie s'était écroulée comme un château de cartes et que je peinais encore à accepter cet échec. 

J'avais passé le concert à hurler les paroles et à gesticuler dans tous les sens, tout au fond de la fosse, j'avais à peine vu la scène, sur la pointe des pieds. Mais cela ne m'avait pas empêché de me défouler comme une dingue et extérioriser toute ma peine. Comme je pouvais le faire sur le ring ou sur le parquet de la salle de danse.

On me bouscula vers l'avant et mon réflexe fut de lâcher quelques jurons mais je les retins de justesse en constatant que c'était mon tour. J'étais arrivé à la table des dédicaces avec aucun speech en tête. Je me revis assise sur ma chaise à la BU alors que je secouais ma tête en rythme avec les paroles du Polak, celui qui m'avait poussé à croire que le déterminisme social n'était qu'un joli mot, que si je voulais réussir, j'avais juste à y croire et que le milieu dans lequel j'avais grandi n'était qu'un détail. J'avais imaginé ce moment, où je le remercierais car grâce à lui j'avais réussi, sans jamais penser qu'en fait, j'allais échouer.

« Salut ! Lâcha-t-il enjoué Bien ? Tu as kiffé ?!

J'hochais la tête, distraite. Le joli monsieur aux cheveux décolorés souriait grandement, debout face à moi, les deux mains sur la table bancale. J'essayais de me ressaisir en enfonçant mes ongles dans les paumes de mes mains. Allez, Selva, on s'accroche. Remets ta belle façade de femme forte et remercie-le, pas pour la réussite, mais pour t'avoir aidé à y croire. Je faisais le vide du bruit autour, des fans qui s'extasient, des minettes qui chouinent et des potes du chanteur qui se marrent derrière.

— S'cuse, marmonnai-je, c'était génial.
— Tu veux que je te signe un truc ou... non ? Ou une photo, j'sais pas ?
— Euh ouais, ouais, attend je crois que...

Je me frappais intérieurement en réalisant que je n'avais pas prévu ce moment. On était à la table des dédicaces d'après concert et moi je venais les mains dans les poches de ma veste en jean trop grande. Je sortis mon téléphone et retirai la coque pour y trouver une feuille pliée en trois. L'ironie du sort faisait que c'était ma convocation aux oraux d'il y a deux semaines. Oraux auxquels j'avais été refusée. Je dépliai le papier et lui tendis. Presque instinctivement, il lut les informations qui se trouvaient sur ce papier maudit. 

— Ça s'est bien passé ? Demanda-t-il en désignant d'un signe de tête la convocation Tu t'appelles comment ?
— Il s'avère que je suis trop ghetto pour rentrer dans l'éducation nationale, pouffai-je en secouant la tête. Je m'appelle Andrew. A, n, d, r, e, w, épelai-je alors que je le regardais écrire
— Ah merde, désolé, dit-il en me rendant le papier

J'haussais les épaules. Je me sentais tellement vidée par la vie. J'avais lâché tous mes tripes dans la salle de concert, face à lui je devais paraître fade, sans vie.

— Bon, à la base j'étais venue pour te remercier de m'avoir aidé à croire en moi-même et en ma réussite, même si je viens du quartier et que j'ai grandi dans les halls d'immeubles. Je suis tombée sur tes sons par hasard alors que je révisais, je suis très rap à l'ancienne, le 113, NTM, Iam, Sniper... Je suis une 97 moi aussi, j'ai grandi avec Skyrock, à l'époque c'était grave bien ! Il hocha la tête en souriant jusqu'aux yeux Donc je suis tombée sur ton feat avec Rim'K, puis ton album ENNA, et Polak, et les mixtapes, et voilà enfin bref, il me regardait attentivement en souriant alors que je monopolisais le dialogue, je suis désolée, je suis pas vivace, j'y ai cru trop fort, la chute m'a foutu une claque, cette connasse, on ricana tous les deux

KAIROS | PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant