quatre.

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Ma gueule dans le miroir du hall d'entrée me jetait des regards apeurés. J'étais terrorisée et j'avais mal dormi. J'avais passé toute la journée précédente dans un brouillard inexplicable où j'essayais d'encaisser le fait que PLK vivait à Clamart, enfin au Plateau surtout, dans l'un de ces sept grands bâtiments. Je ne savais pas pourquoi ça me chamboulait autant, j'étais même un peu flippée de le voir en fait. Un artiste ça se croisait à la sortie d'une salle de concert, pas en bas des blocs. Ce soir-là, j'avais tenté le tout pour le tout parce que je pensais ne jamais le recroiser. J'avais écouté le Kairos, à base de « c'est maintenant ou jamais ». Putain, j'avais eu tout faux.

J'appliquai une grosse dose de maquillage sur mes cernes violettes. On m'avait contacté hier après-midi pour me proposer un entretien et j'avais préféré garder le secret pour moi, par peur du mauvais œil. C'était la raison pour laquelle j'avais décliné la soirée d'hier soir, prétextant une migraine gigantesque. Je n'avais pas voulu m'éclater le crâne à coup de joints de beuh alors que mon avenir était en jeu. Mais ça ne m'avait pas empêché de rester éveillée toute la nuit pendant que mes amis scandaient « Polak ! Polak ! Polak ! » en bas des blocs, m'annonçant le retour du rappeur aux origines polonaises. Finalement, j'avais bien fait de ne pas y aller, la star était de passage au quartier.

Je glissai mon maquillage dans mon sac noir et détaillai ma tenue, ma veste en jean sous le bras. Apprenant de mes erreurs, j'avais directement prévenu l'homme au téléphone que je possédais une multitude de tatouages, du coup je m'étais permise de mettre un petit tee-shirt blanc recouvert d'un gilet à l'ancienne sans manche, laissant mes bras à l'air libre dans la fraîcheur de la fin Mars. Un jean taille haute, des chaussettes blanches mi-hautes et mes doc martens basses, j'estimais être relativement présentable. On avait dit qu'on ne s'oubliait plus pour rentrer dans des cases, alors je ressortais mes meilleures tenues. J'avais un style assez rock, voire grunge, ou un mélange des deux, je ne savais comment le décrire.

« T'es la meilleure, murmurai-je avant de quitter le hall »

Le quartier semblait endormi alors que je déambulai sur la route pour sortir de la cité. Je sentais mon cœur battre fortement dans mes tempes alors que je me rongeais les ongles. J'avais peur de l'échec, c'était affolant. Je faisais rouler mes bagues autour de mes doigts pour me détendre, les yeux fixés devant moi, lorsque je l'aperçus.

Assis sur le dossier d'un banc, un casque sur les oreilles, ses yeux ancrés dans le téléphone qu'il tenait entre ses deux mains, il avait l'air dans ses pensées et ne semblait pas s'occuper du chien qui réclamait des caresses à côté de lui. Au moment où je le vis relever la tête, je m'accroupis furtivement et me dissimulai derrière quelques véhicules. J'étais tout bonnement incapable de gérer cette confrontation maintenant, surtout si c'était pour me rendre compte qu'il ne se souvenait pas de moi.

Je continuai de progresser accroupie tout en m'appuyant contre les carrosseries des voitures, n'osant pas me relever, de peur de tomber sur ses yeux. Je soufflai de soulagement en voyant mon véhicule m'attendre sagement. Changement de plan, j'allais prendre ma voiture, je chopai mes clés au fond de mon sac. Je déverrouillai les portes et me glissai côté passager. Laissant mon sac sur le siège, j'escaladai mon levier de vitesse pour m'asseoir derrière le volant, la tête baissée pour dissimuler mon visage derrière mon rideau de cheveux. Qu'est-ce que je ne ferais pas pour passer inaperçue, bordel...

J'avais l'impression d'être en mission commando, à tel point que je suspectais la présence de perles de sueur entre mes deux omoplates. Je fis tourner la clé tout en priant tous les dieux afin qu'il ait la musique suffisamment forte dans ses oreilles pour ne pas entendre mon moteur. Une fois ma marche arrière faite, je passai la première. Je sortis mon téléphone pour taper l'adresse de la maison de quartier du Petit Clamart, là où avait lieu mon entretien. C'était non loin d'ici mais maintenant que le Polak campait quasiment à l'entrée de la cité, je préférais prendre la voiture plutôt que de passer devant lui à pieds. À coup sûr j'allais faire que 500m ou une distance tout aussi ridicule, mais c'était mieux ainsi.

KAIROS | PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant