Chapitre VI

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Point de vue de Louise-Victoire

À ma très chère cousine, Léopoldine de Neufchâtel.

Oh chère cousine, comment se porte votre famille ? Cela fait trop longtemps que nous n'avons pas échangé.

Je vous écris parce que Mère m'a fait récemment part de l'annonce de vos fiançailles... Voyez avec quelle joie j'ai accueilli cette nouvelle !

Je suis sincèrement navrée de ne pouvoir venir y assister, vous savez que Mère a encore des reproches contre la vôtre, j'espère que le temps adoucira ses humeurs. Elle est très bonne avec moi, ne vous en faites pas. Seulement j'aurais aimé la voir en paix, enfin. Je lui cause bien du tort à cette pauvre mère, figurez-vous que je me suis tordu la cheville juste hier.

Voulez-vous que je vous raconte la chose ? Nous étions invités chez une nouvelle amie que je chéris bien, Marie-Félicie de Maupertuis, et alors que l'on commençait les jeux de course, mes pieds se sont emmêlés et je me suis effondrée au sol comme un vulgaire sac de patates. Je vous laisse imaginer la honte que j'ai ressenti. Mon pauvre pied droit me lançait, et j'avais le rouge aux joues. J'aurais voulu le cacher à Père et Mère pour ne pas les inquiéter inutilement mais déjà Alexandre était allé leur dire.

Je courais avec mon amie Marie-Félicie contre Elisabeth et Sophie-Charlotte qui ont ainsi gagné la course. Je me suis sentie un peu coupable et écœurée d'avoir fait perdre mon équipe, surtout que presque toute mes sœurs se sont rassemblées autour de moi et j'ai dû rejoindre la terrasse avec l'aide de mon amie et d'Elisabeth. Oh non vous auriez dû voir la tête de Mère... Elle semble croire que je suis faite de sucre.

Quelle humiliation ma chère ! Moi qui essaye de paraître toujours sûre et maître de moi-même, là je m'en suis sentie bien nulle. Surtout que j'ai dû rester presque l'entièreté du reste de l'après-midi sur une chaise. Je me suis ennuyée au début, les conversations entre mes parents et la mère de mon amie ne m'amusant guère, vous pouvez vous l'imaginer. Vous auriez dû me voir, la mine triste jouant avec les pompons de ma robe, tellement que je pourrais vous décrire cette robe dans tous ses détails mais cette lettre serait alors beaucoup trop longue.

J'ai essayé de recenser les espèces de plantes et des fleurs comme dans le livre que j'ai emprunté à Alexandre, celui avec les belles images. Je me demande quelles sont les fleurs préférées de Marie-Félicie. En tout cas, son jardin est magnifique. Un jardin classique comme on en trouve à Versailles ou dans les plus grands endroits.

Mère devrait causer avec notre jardinier, lui proposer de faire quelque chose de plus noble car pour l'instant, bien que je trouve notre jardin très charmant, il est loin d'être ordonné, sobre ou d'une quelconque symétrie. Je souhaite bientôt inviter mon amie et sa mère chez nous, et je crains de faire honte avec ce jardin.

Plusieurs fois Marie-Félicie est venue me tenir compagnie quelques instants et puis elle repartait après avoir échangé quelques mots, s'en retournant jouer avec mes frères et sœurs. Moi qui d'habitude ne suis pas très friande de jeux de ce type, je vous avoue que j'ai ressenti au plus profond de moi une sorte de jalousie. J'étais jalouse de ne pouvoir jouer avec eux, aussi étrange que cela pu paraître. Je pourrais, si je le voulais, jouer n'importe quand avec mes frère et sœurs, mais je ne le veux pas. Tandis que ce jour-là, j'avais, d'une certaine manière, une soudaine et étrange envie d'être là-bas avec eux. Par chance avec le temps la douleur s'est estompée et j'ai pu participer au jeu de quilles.

Dans la calèche du retour, j'étais bien silencieuse contrairement à mes sœurs qui n'ont cessé de bavarder gaiement et de commenter la délicieuse journée qu'elles venaient de passer. Je suis restée silencieuse, la tête ailleurs. En face de moi, Alexandre aussi semblait ailleurs. Moi, je ne parlais pas parce que je boudais un peu, et puis je n'avais de toute façon pas grand-chose à raconter. Les bons moments que j'ai passés lors de cette journée, je préfère les garder précieusement au fond de mon cœur. Je ne sais pourquoi, peut-être cette peur, cette impression que partager et montrer aux yeux de tous mes sentiments les rendraient illégitimes ?

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