Chapitre VIII

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Point de vue de Louise-Victoire

Je parlai à mes parents, plus précisément à mon père, puisque c'était lui qui décidait ici, de mon projet d'inviter Marie-Félicie et sa mère dans notre domaine. Il réfléchit tout en beurrant sa tartine, puis finalement il me dit que c'était bien évidemment ce que nous allions faire, mais pas tout de suite, qu'il n'avait pas le temps de s'en occuper maintenant. Il avait beaucoup de travail et des gens importants allaient venir en visite à la maison bientôt.

Souvent, des hommes avec lesquels il parlait affaires, je croyais du moins que c'était ce qu'ils faisaient, venaient passer du temps dans notre manoir avec leurs femmes et même un ou deux serviteurs ! Et pendant au moins une semaine, parfois même plus, il y avait des dames habillées de superbes robes dans le grand salon tous les soirs. Ils jouaient à des jeux de cartes, se racontaient des histoires et bavardaient entre eux. Les hommes parlaient surtout avec Père, dans son bureau ou dans le jardin, car c'était le but initial de ces invitations : essayer de plaire à ces gens pour qu'ils acceptent de parler à Père dans son bureau. En tout cas leurs femmes se plaisaient bien ici, et dans le grand salon il régnait beaucoup plus de joie qu'habituellement. Des rires et des éclats de voix, des bruits de verres en cristal, le piano, et même parfois les hommes demandaient une danse aux dames et chaque couple dansait un par un au milieu du salon. J'aimais bien quand ces dames venaient.

Mes jeunes sœurs, Alexandre et moi nous ne devions pas trop les déranger mais Elisabeth passait du temps avec ces dames, elles parlaient soieries, bals, et je ne savais quoi, mais cela avait l'air passionnant. La maison tout entière avait l'air toute en fête, cela changeait beaucoup de l'atmosphère lorsque la maison était vidée de ces élégantes personnes. Avec mes sœurs nous les espionnions, nous ne pouvions pas nous en empêcher, c'était tellement intéressant pour nous, les enfants. Nous admirions les superbes toilettes des dames, leur beauté, leurs parures, leurs coiffures, se demandant à laquelle nous ressemblerions lorsque nous serions plus grandes. Nous observions les hommes aussi.

Parfois, quand des amis de Père amenaient ses filles ou fils en âge de se marier nous essayions de savoir lesquels iraient le mieux ensemble et dès qu'ils interagissaient nous étions tous émus. C'était un peu comme être au théâtre. Nous regardions les jeunes hommes parfois, et rêverions à l'amour. Nous nous imaginions dans l'une de ses soirées, entourées de belles personnes. Que ça devait être divertissant et si excitant ! Mais nous nous faisions réprimander quand une gouvernante, ou pire, Mère, nous trouvait les épiant.

Durant ses soirs, ses semaines où le manoir semblait être plein de vie, il était difficile de se concentrer à ses leçons tant l'envie d'aller voir les dames se promenant dans le jardin au bras des hommes nous attirait. Alexandre, lui, avait tant de chance. Il pourrait bientôt y assister, car Père voulait lui apprendre le métier, comme il disait, ou l'initier à la manière dont marchent les affaires. C'était ce qu'il m'avait confié une fois que nous étions tous restés éveillés le soir pour se glisser hors de nos chambres et regarder la fête du haut d'une balustrade.

Mère, elle, quand il évoquait la visite de ses amis, soupirait. Très légèrement car ce n'était pas digne d'une dame de qualité de soupirer et de montrer sa désaffection.

Ainsi donc, il me faudrait patienter avant d'inviter mon amie. Je fus un peu ennuyée de voir beaucoup de choses passer avant moi. L'argent, les affaires, les rendez-vous, les gens importants. Tout ceci semblait plus important que moi aux yeux de mon père. Mais mon désarroi ne fut que de courte durée car je me rappelai que nous allions sûrement bientôt revoir mon amie à Fontainebleau !

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La semaine suivante, au château de Fontainebleau.

Je venais tout juste d'arriver, lorsque j'aperçus Marie-Félicie qui venait vers moi. Je me sentis à nouveau mieux car j'avais peur de ne pas la voir aujourd'hui. Elle aussi était contente de me voir. Je crus le comprendre à sa façon de serrer mes mains dans les siennes, ce qui me fit chaud au cœur. J'abandonnai ainsi un peu ma famille et causai avec mon amie, après quoi nous allâmes vers un groupe de filles de notre âge. J'y trouvai des amies que je présentai à Marie-Félicie, mais à mon grand étonnement et mon grand désarroi, celle-ci nous laissa pour s'en aller vers un groupe de garçons.

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