Chapitre XVI

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Point de vue de Louise-Victoire :

Quelques semaines après le bal.

Nous eûmes cours ce matin, mais nos gouvernantes nous laissèrent l'après-midi car nous avions une visite. J'aidai à faire des bouquets de fleurs pour orner la salle à manger. J'assemblai des dahlias, des frésias, des matricaires et des asters dans un vase en grès.

Mes parents avaient convié Monsieur de La Tour St-Martin, un prétendant d'Elisabeth. Je les avais vu danser au bal. Il la regardait comme si elle lui appartenait déjà.

Il arriva pour le repas du midi, dans un carrosse fraîchement repeint et attelée par des grands chevaux. Je l'observai par la fenêtre de la bibliothèque. J'entendis Elisabeth qui se dépêchait dans les escaliers et l'étoffe qui balayait le sol. Je pariai que Mère lui avait fait faire une nouvelle robe pour l'occasion. On m'avait dit qu'il fallait être bien sage et bien élevée en la présence de ce monsieur, qu'il était important.

Dans la salle à manger, en compagnie de ce monsieur de La Tour St-Martin, nous mangeâmes les diverses volailles rôties ainsi que des légumes et des potages. La Tour St-Martin discuta avec Père et Mère, et échangea des courtoisies avec Elisabeth. Il faisait presque trop de bonnes manières.

Je le regardai en détails. Il avait des yeux un peu tombants, avec au-dessus des sourcils épais et un front qui commençait à se dégarnir. Sa figure était traversée de sillons qui creusaient sa peau et lui donnait un air sévère. Son menton était trop court pour que son visage soit harmonieux : il s'achevait abruptement sous une bouche trop grande, comme si l'on avait tranché une partie de ce menton. Son teint avait un peu bronzé de tant d'années loin du climat tempéré de la France.

Le voilà qui nous glissa, à Césarine, Sophie-Charlotte et moi, des dragées qu'il sortit d'une petite boîte décorée de fleurs de lys. On aurait dit qu'il essayait de gagner notre faveur.

Après le repas nous descendîmes nous promener, Mère, monsieur le soupirant, Elisabeth, Sophie-Charlotte, Alexandre et moi. Père se retira dans son bureau et déclara qu'il reviendra pour l'heure du thé. Il n'aimait pas les promenades, il disait que c'étaient des affaires de femmes : les hommes eux allaient à la chasse ou à cheval. Mon frère n'était pas de son avis. J'étais fière qu'il ne soit pas comme notre père.

Bientôt une voisine, Marie-Caroline, et sa fille Gabrielle, nous rejoignirent, ayant sûrement des vues sur Alexandre... Mère invitait souvent les voisines à venir prendre le thé et faire des promenades et je connaissais bien cette Gabrielle de Mayet, elle avait mon âge mais nous n'étions pas proches. Nous l'avions été lorsque nous étions toutes petites, jouant ensemble, mais ses années passées loin de la campagne nous avaient éloignées. Plus proche avec Elisabeth et Sophie-Charlotte, elles se voyaient régulièrement pour causer broderies et dentelles.

Nous passâmes par le jardin, puis marchâmes dans les petits chemins de campagne verdoyante où chantaient quelques oiseaux. Elisabeth et son prétendant marchaient devant, Mère derrière eux avec la voisine, pour pouvoir surveiller d'un œil, puis Alexandre, Gabrielle, moi et Sophie-Charlotte en dernier.

Nous causâmes de choses et d'autres, mais la balade était trop longue et je m'ennuyais un peu car nous devions rester sages et calmes en présence de monsieur de La Tour St-Martin. J'aimais mieux mieux quand nous pouvions sortir des sentiers et chantonner.

Plus tard dans l'après-midi, après la promenade, nous nous installâmes dans le salon jaune pour prendre le thé, jouer à des jeux et discuter.

« Louise-Victoire, allez donc jouer un peu de pianoforte, voulez-vous... » me somma ma mère

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