Point de vue de Marie-Félicie
J'apportai le dernier point final à mon récit de mon petit séjour chez Louise-Victoire et rangeai ma plume dans son coffret doré aux quatre coins. Je pris le temps de me relire, afin de me rectifier dans mon écriture.
Il fallait dire que j'aimais beaucoup la belle écriture et j'admirais les femmes qui écrivaient leurs propres romans ou histoire de vie. Elles avaient la facilité d'employer des mots exacts et non rocambolesques pour décrire des situations incongrues.
Mes yeux commencèrent leur lecture en haut, à gauche. Là où je m'adressais à mon journal.Très cher journal,
Je viens, encore une fois de plus, m'épancher à travers toi. De nombreux évènements se sont déroulés si vite et en très peu de temps. Je dois t'en faire part.
Hier, je suis revenue de mon court séjour chez ma meilleure amie. Nous avions à moitié organisé un rendez-vous avec l'homme qui fait battre mon cœur: Alexandre de Cléry, le frère de Louise-Victoire. Ce jeune homme, je t'en ai déjà longuement parlé.. Mais ce que je vais te conter cette fois-là doit rester entre toi et moi! Seule, Louise-Victoire est au courant. Je lui ai tout raconté en revenant chez elle. Nous avons parlé tard dans la nuit. J'ai beaucoup pleuré, mais aussi beaucoup souris.
Alexandre est arrivé et m'a proposé un tour en barque. Oh mon dieu, comme c'était romantique! Il n'y avait plus que lui et moi sur ce bras de Seine. Je lui ai expliqué que ce serait notre dernier rendez-vous, du fait de Mère et ses prétendants qu'elle me choisissait. Je voyais qu'il était désemparé suite à ma révélation. Aussi, nous nous sommes arrêtés sous un saule pleureur et c'est là qu'il m'a embrassé. J'avais du mal à croire que c'était la réalité. Mon premier baiser avec l'homme que j'aime! J'adorais la sensation de ressentir ses lèvres sur les miennes. Alexandre a les mains rugueuses mais sent très bon. Une odeur de bois exotique que l'on trouve que dans les colonies. Enfin, je ne suis jamais allée en voyage dans des terres lointaines, mais c'est la senteur que j'imagine.
Nous avons passé un bon moment dans les bras l'un de l'autre et malgré mon empressement à m'unir à lui, il a su rester très gentleman. Il m'a assuré revenir me voir dans le fond du jardin, là où Mère ne s'aventure guère.Dans sa chambre, j'ai conté à Louise-Victoire comment s'était déroulée mon rendez-vous. Elle a pris le temps d'écouter, longuement. De m'essuyer mes larmes quand je lui ai dit regretter mes paroles. D'embrasser mes cheveux quand j'ai tenté de me cacher dans son cou en lui avouant mon empressement. Elle a pris mes mains et les caressaient distraitement, mais au ton de sa voix, je voyais qu'elle était elle aussi mélancolique.
Alors je me suis lovée contre elle. Elle sur son lit et moi par terre, contre elle. Calmes et discrètes, nous avons gardé le silence.
Louise-Victoire sent si bon les fleurs. J'enroulais mes longs doigts autour de ses cheveux bruns. Elle me contait combien son frère m'aimait et ne m'abandonnerait pas. Donc, cela avait réjouit mon coeur.
J'osais à peine toucher mes lèvres, de peur de perdre la sensation des baisers de mon bien-aimé. J'avais ris légèrement et elle m'avait demandé pourquoi. Lorsque je lui ai donné ma raison, mon amie me souffla qu'il y en aurait d'autres encore. Je me rappelle avoir rougi subitement car suite à ses paroles, Louise-Victoire avait déposé un baiser de ses lèvres sur mon nez et ma joue. Elle ne souhaitait pas me troubler davantage. Or, elle ne savait pas qu'elle m'avait troublée. Mais désormais, je garde cela pour moi. Dans mon cœur.Après avoir relu ces quelques lignes, je m'aperçus que j'étais contente de mon écriture. Je n'avais rien à rajouter et je fermai mon journal. J'ouvris mon tiroir et le rangeai sous mon recueil de Marceline Desborde-Valmort, une femme qui savait coucher ses émotions en superbes poèmes.
Quelqu'un toqua à ma porte. Je lui dis d'entrer.« Mademoiselle, votre cours de chant va bientôt commencer..
- J'arrive Henriette. »Je me levai et rejoignis ma bonne. En fermant ma lourde porte, je me retournai sur mon secrétaire et pensai à Alexandre et Louise-Victoire. Il me tardait de les revoir...tous les deux!
Point de vue de Catherine de Maupertuis
Je me coiffai d'un chignon et j'enfonçai quelques épingles pour qu'il tienne. Mes anciennes boucles s'étaient disciplinées et j'arrivais à faire ce que je voulais de mes cheveux. Il y avait bien longtemps qu'un homme ne me les avait pas touchés et d'un certain côté, j'enviais ma fille.
J'espérais qu'elle n'avait pas encore vécu ce moment, mais je n'en n'étais pas sûre. À vrai dire, j'essayais d'organiser la future vie de Marie-Félicie, mais je lui volais son futur bonheur en pensant à ma survie.Ô comme Jean-Baptiste me manquait.. Lui qui était si patient avec notre fille quand elle était bébé. Je me souviens d'un jour où il avait décidé de lui apprendre à conduire son cheval. Notre petite allait sur sa deuxième année et il l'avait installée devant lui, partageant ses rênes avec elle. Affolée, je regardais les petites mains potelées de notre enfant serrer ces lanières de cuir. Monsieur mon époux passa sa main sur son ventre et lui dit de se tenir bien droite. Il accélérait la cadence de son destrier, tandis que Marie-Félicie, secouée par la manière dont trottait l'étalon, riait à gorge déployée et acclamait son père.
Dès lors, je savais la lourde tâche qu'il allait m'incomber pour l'élever à son propre rang.
Mon deuil, je ne savais pas s'il s'achèverait un jour. J'avais l'immense tâche d'agir seule pour faire de Marie-Félicie une jeune fille bien élevée et prête à marier depuis ses quatre ans. J'avais pleuré mon défunt mari durant deux années avant de connaître François De Cléry.Mon banquier m'avait chaudement recommandé à lui. J'avais eu vent qu'il cherchait quelqu'un pour ses affaires. Ainsi, j'avais organisé discrètement un rendez-vous en ville, m'étant renseignée et le sachant marié avec un fils. Lors de notre entrevue, je m'étais effondrée en avouant que je n'arriverai jamais à vivre quand Marie-Félicie serait partie. Bien sûr, l'armée me versait une rente à vie, mais mon enfant était ma seule attache. Mon repère. Celle qui me rappelait mon tendre amour.
Il m'avait rassuré disant que ses affaires étaient florissantes et qu'il pourrait m'aider au cas où.
Le temps étant passé, il a eu d'autres enfants. Des filles. Parfois, il prétextait d'avoir des affaires à faire en ville et nous nous retrouvions dans une auberge, non loin du manoir. Lui aussi espérait une dot conséquente pour le mariage de son fils et intérieurement, je savais bien qu'il ne choisirait pas mon enfant. Pourtant, nos enfants respectifs avaient fait connaissance désormais et semblaient bien s'entendre.
Quelle mère indigne j'allais faire en refusant à ma fille de fréquenter le fils De Cléry. Au contraire, j'allais la lâcher dans les griffes d'un jeune homme qui ne verrait qu'une vierge pure à déflorer.
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Histoires Mêlées
Historical FictionDeux autrices. L'histoire se passe au XIXe siècle et mêlent les deux personnages principales. Suivez leurs péripéties au cours de ces années où elles connaîtront l'amour et d'autres sensations.