Chapitre XXVI

6 0 0
                                    

Point de vue de Louise-Victoire

Je reçus une lettre de mon amie, qui me réjouit autant qu'elle me désola. Marie-Félicie nous invitait, moi et Alexandre, chez elle, pour rencontrer son prétendant...

L'idée, je l'avoue, ne m'enchantait guère. Déjà que la jalousie me pressait le cœur à l'idée même de ce bienheureux homme, le voir était une pensée qui me donnait presque la nausée.

J'acceptai tout de même son invitation. Je n'allais pas refuser une occasion de la voir. Et puis si je pouvais lui être utile en lui donnant conseil... Il me fallait d'être là pour elle.

Je n'eus pas besoin de parlementer avec Alexandre car il vint m'en parler de lui-même. Il voulait savoir si j'irais aussi. Il hésitait, mais je pus le convaincre. Je voyais bien que cela ne lui donnait pas plus envie qu'à moi, mais je pensai que cela l'aiderait à comprendre et à voir la réalité en face, si effectivement son histoire avec Marie-Félicie était vouée à ne pas se réaliser.

Dans le carrosse, je remarquai bien la tension d'Alexandre. J'essayais de garder mon calme et ne pas me laisser submerger par l'appréhension. De tout manière mon frère était si absorbé par ses humeurs qu'il ne remarquerait rien.

La vision de Marie-Félicie en compagnie de cet homme, et de surcroît à son bras, me choqua tout de même. Je l'avais vu en compagnie de nombreux hommes, dans les bals, mais cette fois c'était différent. J'enviai, jalousai et détestai cet homme dès la première seconde. Elle, elle était magnifique comme à son habitude dans une robe rose qui seyait à merveille avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds.

Mon frère était raide comme le marbre, figé comme les statues du château de Vaux-le-Vicomte. Je me rendis compte que je ne savais pas exactement tout de leur histoire et de leur vécu ensemble. Jusqu'à où étaient-ils allés et combien mon frère l'aimait-il ? Elle ne m'avait pas tout raconté à ce sujet, et lui était plutôt discret sur ses sentiments.

«Oh que la situation est comique»... pensais-je avec ironie.

Car, sans s'en rendre compte, Marie-Félicie brisait deux cœurs en même temps. D'une pierre deux coups. Le frère et la sœur, plus désespérés l'un que l'autre.

Je laissai Alexandre avec son rival en espérant qu'ils ne s'entretueraient pas en mon absence, et suivit Marie-Félicie qui à vrai dire ne m'en laissa pas le choix, m'entrainant à sa suite.

J'écoutai ses confidences en faisant mon possible pour garder un air neutre et ne pas paraître affligés par ses propos. Ce que lui réservait ce Monsieur Morel d'Arleux, c'était évidemment des choses que je ne pourrais lui apporter, et que mon frère non plus d'ailleurs. Le pauvre, nos parents respectifs étaient contre leur union, et ce Louis avait une bien meilleure situation. Il était vrai qu'on ne pouvait rêver mieux et qu'il était un très bon parti. Physiquement, il n'était pas mal non plus, et son uniforme était somptueux. Je comprenais qu'elle le choisit au lieu d'un énième homme d'âge mûr bien moins séduisant.

Plus tard, nous retrouvâmes mon frère et le prétendant de mon amie. Nous allâmes dans le salon pour boire un thé et donner un petit concert.

Connaissant mon frère, je savais qu'il n'était pas à l'aise et bouillonnait intérieurement. Ainsi je tentai subtilement de lui montrer mon soutien en lui tapotant l'épaule pendant que monsieur Morel d'Arleux dévorait Marie-Félicie des yeux.

Je jouai un air au pianoforte pendant qu'elle chantait de son timbre mélodieux. Les deux hommes, assis de part et d'autre du canapé, n'étaient pas indifférents à sa jolie voix. Ce n'était pas la première fois que Alexandre l'entendait chanter, mais je pariai que c'était la première fois pour Monsieur Morel d'Arleux. J'avais eu la chance d'être, de nous trois, celle qui l'avait entendu le plus souvent. J'aimai l'accompagner ainsi au pianoforte. C'était comme si nous étions unies par la musique, lorsque les notes du pianoforte et sa voix s'harmonisaient.

Histoires MêléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant