Point de vue de Catherine de Maupertuis
Il fallait me hâter. Je ramassai les différentes feuilles qui traînaient sur mon secrétaire. J'y avais inscrit à la plume le nom des plus beaux partis de la région. Certes, Marie-Félicie ne connaissait pas ces hommes, mais leur fortune assurerait une très bonne contribution à ma rente mensuelle et pour elle, un avenir décent. J'aspirais tant que ma chère fille finisse par retrouver la raison. Elle ne voyait que l'instant présent. Elle ne pensait pas à son devenir. Or, j'étais comme elle à son âge. Pleine de vie et m'intéressant à tout.
Demoiselle, j'avais développé une passion pour l'art. La peinture et la musique m'intéressait au plus haut point. Ce que je retrouvais dans la peinture c'était la beauté des lignes courbes, la fluidité des aplats de couleurs que le peintre avait couché sur la toile, la justesse des émotions que trahissaient les personnages. Muses sanglotantes ou dieux aux yeux exorbités face aux travers de l'Homme. J'appréciais la verte nature, les végétations luxuriantes, la flore naissante et la faune discrète.
Par ailleurs, mon attrait pour la musique me fit approcher divers instruments. Ainsi, après avoir appris le piano, je m'étais essayé au violoncelle, puis à la harpe. Mère disait de moi que j'étais son rossignol. Je poussais ma voix dans les notes les plus aiguës lors des récitals donnés pour ses amis.
Je battis des cils et reviens à moi. Lentement, je posai le revers de ma main sur mon front. Tous ces souvenirs me donnaient mal à la tête. Il ne fallait plus que j'y repense. Il fallait que je serve le destin de ma chère Marie-Félicie. D'ailleurs, elle reviendrait bientôt de la ville avec les demoiselles de Cléry. J'espérais sincèrement qu'elle ait trouvé un tissu précieux pour sa première robe de bal. J'avais dans l'espoir de l'introduire lors du bal des débutantes dans le château de Vaux-le-Vicomte.
Quand ma mère m'avait obligé à me marier à ce militaire, je ne me voyais pas vieillir à ses côtés. Or, Jean-Baptiste fut un très bon mari. Aimant, attentionné, certes directif, mais toujours bienveillant.
Quand Marie-Félicie naquit, il était en repos au manoir. Des images de sa naissance vinrent troubler mes pensées. Je me rappelai des talons de ses bottes qui résonnaient dans le boudoir pendant que je criais en tentant de la faire sortir. De mes doigts qui accrochaient le lin de notre lit conjugal. De la sueur que la jeune Henriette m'épongeait le front à l'aide d'un linge mouillé frais. Enfin, je l'entendis pousser son premier cri. Mon enfant. La chair de ma chair. Des pleurs en suivirent. D'elle, de moi et de mon mari qui accouru instantanément dans la chambre et qui, s'attendant à avoir un fils, s'effondra dans mes bras en maudissant le Ciel, mais en le bénissant de nous avoir gardées en vie.
J'entendis le bruit des chevaux dans la cour. J'essuyai les larmes qui ont coulé sur mes joues et je me levai. J'avançai doucement et ouvris la porte qui menait sur le palier. Je vis Henriette accueillir ma fille et Marie-Félicie entra en virevoltant. Sa robe s'éleva et je la vis rire aux éclats en racontant à sa bonne qu'elle s'était délicieusement amusée. Son insouciance me faisait regretter ce que j'envisageais pour elle. Le choix de son futur mari, en dépit d'un amour réciproque.
J'inspirai longuement et me tins à la rampe en bois sculpté. Je descendis l'escalier du chêne centenaire et toussai un peu pour me faire entendre. Je lui demandai comment s'est passée sa journée et si elle avait trouvé un tissu raffiné pour sa robe de bal. Elle me répondit qu'elle sera la plus belle des débutantes. Je souris et je joignis mes mains. Je l'informai que le bal se tiendra dans deux semaines au Château de Vaux-le-Vicomte. Elle m'assura que sa robe serait prête et qu'elle irait dans une semaine chez le tailleur pour y faire quelques retouches si nécessaire. Je hochai la tête et demandai à Henriette de s'occuper d'elle pour le thé. J'enfilai mes gants et les informai de ma balade quotidienne dans les jardins.
Lorsque je sortis et descendis les marches, une légère brise s'insinua sous ma capeline. Je resserrai le nœud et avançai lentement sur les graviers. Nos jardins étaient magnifiquement beaux en cette saison. Les feuilles commençaient à tomber et se paraient de mille couleurs chatoyantes. Les buis étaient toujours aussi verdoyants et j'aperçus quelques rosiers tardifs grimper le long de l'arche de fer forgé qui ouvrait sur le labyrinthe.
Là, je m'évadai dans de douces pensées, où je me souvins de mon mari faisant marcher, pour la première fois, notre petite blonde aux yeux bleus et aux boucles fournies. Je perçus encore son rire résonner parmi les boules de buis que je caressai du bout de mes doigts gantés. Lorsque je repensai à comment elle s'était échappée et avait avancer en titubant jusqu'à moi; à comment elle accrochait ma robe lourde et penchait sa tête, câlinant mes jambes. Un hoquet me traversa et j'attrapai mon mouchoir de soie pour m'essuyer le coin des lèvres. Je l'avais tant chérie enfant et maintenant, j'allais la donner à un homme qui ne verra en elle qu'une jolie vierge, douée en broderie et en chant. Il pourra parader avec elle : l'emmenant à des dîners et l'exhibant devant ses amis en vantant ses mérites.
« Marie-Félicie, j'espère que vous me pardonnerez ce que je m'apprête à vous faire.. »
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Histoires Mêlées
Ficción históricaDeux autrices. L'histoire se passe au XIXe siècle et mêlent les deux personnages principales. Suivez leurs péripéties au cours de ces années où elles connaîtront l'amour et d'autres sensations.