Chapitre XXIII

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Point de vue de Marie-Félicie

Je rentrai de l'étable où j'avais été nourrir mes chats: Citrouille, Plumeau et Chausse. Mère refusait obstinément de les avoir à la maison. Chausse me faisait penser à Louise-Victoire car c'était elle qui l'avait prénommée ainsi. 

Ma tendre amie s'était affirmée lors des bals où je l'avais entraperçue. Elle était devenue plus froide et repoussait les hommes avec désinvolture. Tout le contraire de sa jumelle Sophie-Charlotte. 

Malheureusement, pour moi, je devais enchaîner danses après danses, tant ma beauté s'était révélée au cours de l'automne et nombre de gentilshommes s'étaient pressés pour apparaitre sur mon carnet de bal. Étant seule avec Mère, je ne me voyais pas leur tenir tête et refuser. Cependant, mon visage ne montrait aucune émotion et je répondais banalement à leurs questions, les yeux baissés et la tête ailleurs. Certes, j'avais des sentiments, mais bien pour un seul et unique homme. Le fils des De Cléry.

Alexandre m'écrivait souvent et était revenu me voir par deux fois, dans le fond de notre jardin, derrière la petite porte en fer forgé. Il restait très courtois et ne m'avait pas une seule fois embrassé, si ce n'est que sur le front. L'homme me prenait délicatement ma main, retirait mon gant de dentelle et caressait mes doigts en me contant qu'il serait bientôt diplômé. Il s'était mille fois excusé de ne pas convenir aux attentes de Mère et je lui avais caressé doucement la joue en lui délivrant un message d'espoir.

« Même si nos parents nous séparent, le simple fait de savoir que vous êtes là apaise mon cœur et le remplit de joie~ »

Bien sûr, j'étais naïve et je ne connaissais rien sur le sort fait aux jeunes hommes avant qu'ils se marient. Je vivais mon amour, caché aux yeux de Mère et du monde extérieur ne connaissant pas même le sens de ce beau sentiment, tant il m'était impossible de le vivre réellement. Je ne pouvais que l'imaginer à travers mes lectures.
J'aimais beaucoup la littérature. Je lisais le soir, à la lumière d'une bougie. J'adorais me plonger dans les récits d'aventures tel Robinson Crusoé ou les romans de chevalerie dans lequel je pouvais m'imaginer à la place de la dame aimée. L'amour courtois. C'est ce que je connaissais, à travers les livres. Ce que j'éprouvais pour Alexandre de Cléry se rapprochait assez de ce que j'avais lu dans les blasons médiévaux. Simplement, le fait que ce soit lui qui m'ait offert mon premier baiser me confortait sur mes sentiments.

J'étais plus ou moins joyeuse car j'avais encore des révisions pour exceller à mes chants et il me restait du temps en fin de matinée. Henriette s'annonça dans le petit salon où j'avais pris place et me tendit une lettre cachetée avant de repartir. Seulement quand je l'ouvris, je compris qu'elle venait d'Alexandre Amé de Saint-Didier, le préfet de notre département, tel qu'il se présentait. À peine après avoir parcouru quelques lignes je pâlis. Il indiquait avoir chaudement recommandé à Mère le capitaine de la garde nationale à cheval, Louis Morel d'Arleux.

Je me rappelai du jeune homme qui m'avait demandé une valse lors du dernier bal au château de Graville. Il paraissait étrangement timide et je ne lui avais pas demandé son âge. Il était légèrement plus grand que moi, les cheveux noirs -avec quelques boucles- coupés courts et portait la moustache. Il portait un uniforme d'officier.
Ses yeux étaient grands et il avait un regard captivant. Je trouvais que sa timidité était charmante et j'aurais voulu en savoir plus sur lui. Je me rappelais qu'il m'avait avoué être troublé par ma beauté et par mégarde, lui avoir répondu par un faible sourire. Nous avions valsé et je devais dire qu'il savait très bien conduire.

Je secouai la tête pour effacer ce souvenir et replongeai dans la missive. Alors que je parcourais l'écriture soignée de notre préfet, je crus tourner de l'œil en lâchant un soupir désespéré. Monsieur s'était permis de nous organiser un rendez-vous sur Paris pour la fin novembre. Immédiatement, je reposai la lettre sur la table et repris mon souffle. Je ne pouvais pas me permettre de refuser cette entrevue sachant qu'elle venait de quelqu'un qui régissait la France, mais je restais dubitative quand à l'arrangement entre cet homme d'état et ma tendre mère, parce qu'il devait certainement exister un entre tous les deux.

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