Chapitre XXIV

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Point de vue de Louise-Victoire

Noël approchait maintenant à grands pas, mais sans Grand'mère cela serait un peu différent. Elle avait vécu avec nous depuis que j'avais deux ans, alors c'était pour ainsi dire depuis au plus loin que je me souvienne. Plus de la moitié de ses biens avaient été attribués à mon oncle Antoine, le frère aîné de Père. Mais comme elle avait vécu chez nous, Père avait une place sur son testament. Père disait aussi fièrement que Antoine était malade et n'avait qu'une fille, alors cela nous reviendrait de toute façon.

Moi j'aimais bien oncle Antoine, il était dans l'armée, et j'étais sûr qu'Alexandre l'admirait beaucoup. Sa fille Anne en revanche, quelle oie prétentieuse ! Je me souviendrai toujours du jour de mes cinq ans où elle m'avait coupé les cheveux à l'aide de ciseaux de couture. Plus jamais elle ne fut invitée à mes anniversaires.

Quoiqu'il en soit, Père s'était emparé des affaires que Grand'mère possédait ici au manoir et nous les avait distribués, à nous ses filles et à ma Mère. Je portais à présent une de ses broches en argent ornée d'un grenat. Elle m'avait dit quelques mois plus tôt que cela serait un cadeau pour mon prochain anniversaire.

J'avais déjà hâte de mon anniversaire, mais pour ça il faudrait encore attendre quelques longs mois. J'avais hâte de le fêter, cependant l'idée de devenir plus âgée d'un an ne m'enchantait pas beaucoup à vrai dire. Heureusement que Père et Mère me laissaient un peu de repris concernant les prétendants.

Alexandre revint pour les fêtes. Après être allés à la messe de Noël, nous mangeâmes un repas somptueux que j'avais en secret aidé les cuisinières à préparer. Mère avait ressorti du grenier une petite crèche en bois avec des petits personnages colorés que nous avons déposée sur un buffet. C'est vrai que depuis le décès de Grand'mère, Mère était plus libre dans ses mouvements. Elle avait décidé d'adopter un petit chien nommé Quincy, que le mari d'Elisabeth avait rapporté d'un voyage.

Quelques semaines plus tard.

Une poudreuse immaculée recouvrait le jardin. Quincy courrait dans la neige puis revenait se réchauffer les pattes à l'intérieur. Il aimait courir après les oiseaux pour leur faire peur, ce qui m'agaçait. J'avais mis au fond du jardin des graines et de la graisse pour ces petites boules de plumes qui devaient avoir faim avec l'arrivée de l'hiver.

Pour le bal de ce soir, je mis une grande capeline cousue de fourrure pour me tenir chaud. J'abhorrai pour mon premier bal d'hiver une robe de velours vert, un manchon de fourrure et des bottines de cuir toutes neuves. Père ne venait pas avec nous, il resterait cloîtré dans son cabinet. Et Alexandre était reparti en ville.

J'entrai dans la salle de bal, les joues encore rosies par la température fraîche.

Comme d'habitude, je restai avec Mère, attendant que l'on vienne me chercher pour une danse. Mon carnet de bal était à demi plein. J'enchaînai dès le début quelques danses.

Et puis je le vis. L'homme étrange que j'avais aperçu lors de mon premier bal. Toujours le même air poétiquement mélancolique. J'attendis qu'il m'invite à danser ou daigne jeter un regard dans la direction dans laquelle j'étais. Peine perdue. Aucune des demoiselles présentes ne captaient son attention. Je me mis en tête de l'espionner discrètement.

Au bout d'une heure, qu'il passa à regarder discrètement presque chacun des hommes présents, il se leva promptement et se dirigea vers une vieille femme : Madame des Essardes, la reine des commérages. La dame était une encyclopédie vivante et le journal de nouvelles le plus complet que l'on puisse trouver. J'avais hésité à lui poser des questions lorsque j'effectuais des recherches sur l'époux d'Elisabeth, mais je ne lui faisais pas confiance. Si moi, jeune fille débutante, allait la voir en demandant des renseignements sur un homme, je suis certaine que mon entrevue avec elle se serait retrouvée sur toutes les bouches et dans toutes les oreilles.

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