Chapitre IX

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Point de vue de Marie-Félicie

Quatre ans s'étaient écoulés et je me languissais de mes visites chez Louise-Victoire. Notre amitié s'était renforcée et j'aimais passer du temps avec elle. Et puis, son frère aîné avait rejoint ce prestigieux lycée où il était interne. Il m'avait confié se destiner à une carrière dans la marine marchande pour voir du pays. Je l'enviais du plus profond de mon âme. Vivre plein d'aventures.. Malheureusement pour moi, je n'étais plus une petite fille, mais une jeune fille.

Mon corps s'était métamorphosé. Des courbes légères s'étaient formées désormais et j'avais bien entraperçu le regard de certains jeunes hommes sur moi, lors des après-midis passés à Fontainebleau. Seulement, Mère m'avait prévenue. Il n'y en aurait pas d'autres. Je ne reverrai jamais les jardins où j'adorais jouer avec mes amies. Je me rappelai avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, une fois rentrée au manoir, quand elle me l'avait annoncé. Même ma bonne Henriette n'arrivait pas à me calmer. Je me souvins avoir manqué le souper. Mère, furieuse, avait exigé de me voir le lendemain, à l'aube. Et j'avais encore une fois obéis, tourmentée.

« Marie-Félicie, vous ne vous rendez pas compte du regard des hommes sur vous.. J'en suis moi-même effrayée!
- Parce que moi je ne devrais pas l'être? lui demandais-je, les bras croisés sur ma poitrine et les sourcils haussés.
- Bien sûr que vous pouvez l'être, seulement j'ai peur pour vous.. Je ne veux pas vous mettre dans les bras de n'importe qui. Il va de soi qu'il faut que vous fassiez votre entrée au monde.
- Comment? Si tôt? Mais Mère je suis beaucoup trop jeune!? Certes, je connais quelques pas de danse, mais pas tous.. »

Je me rapprochai de ma mère et lui accrochai le bras de mes deux mains. Mes yeux la suppliaient de revenir sur sa décision.

« Je ne veux pas qu'un monsieur âgé me prenne en épousailles.. Je veux choisir mon bien-aimé de moi-même si vous pensez qu'il est temps.
- Vous n'y pensez pas Marie-Félicie? Pour qu'on soit la risée de tous ces nobles?
- Mère, je vous en supplie ! Pensez à Père ! Ce n'est pas ce qu'il aurait voulu pour moi. »

Elle s'éloigna de moi quand elle entendit que je mentionnais soudainement son éternel amour. Je soufflai de dépit.

« En attendant, travaillez votre voix. Je vais organiser un concert avec des dames de haut rang. J'ai besoin de vous entendre sur quelques chants liturgiques ce soir là.
- Bien Mère. Je ferai ce que vous voulez. »

Je m'inclinai en lui faisant une révérence et je la quittai pour retourner dans ma chambre.
Je sortis des partitions et je les mis sur mon pupitre. Je fis quelques vocalises et je me lançai dans une ode à la Vierge Marie. J'y mis tout mon cœur. Les notes que j'arrivais à atteindre étaient comme la caresse d'une plume sur la peau. Douces et fébriles. Je me perdis dans mon imagination foisonnante en continuant à chanter.

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Quelques gouttes de pluie tombaient sur ma capeline, pendant que je rejoignis l'écurie. Je sortis du pli de ma robe la lettre de Louise-Victoire. Elle n'était pas mouillée. Je m'assis sur la paille et l'ouvris délicatement. Je parcourus les lignes avec hâte.
Elle me racontait sa vie de jeune fille de bonne famille, entourée de ses sœurs. Elle me contait les soirées avec les riches dames qui s'esclaffent derrière leurs éventails. Elle me parlait de ses dernières lectures, du fils de sa sœur Joséphine qui était adorable et des exploits ratés des prétendants d'Elisabeth. Je ris doucement. Elle me confiait qu'elle a peur pour sa jeune sœur Césarine car elle se faisait plus surveiller qu'elle. Elle venait tout juste d'avoir neuf ans. Enfin, elle me glissait quelques mots sur sa jumelle. Sophie-Charlotte avait vraiment hâte de connaître son premier bal.

Lorsque je refermai la lettre et m'étendis dans la paille, je repensai à son anniversaire. Mère et moi étions allées passer deux jours et une nuit au manoir des de Cléry. Nous nous étions bien amusées. Le soir, à la lueur d'une chandelle, Louise-Victoire m'avait demandé l'autorisation de me coiffer pour la nuit. Je la lui avais donné. Ainsi, avant de me tresser les cheveux, elle avait défait ma coiffure et toutes mes belles boucles dorées étaient retombées en cascade sur mon dos. Je me souviens avoir vu son visage s'émerveiller.

Dans son lit, alors que nous étions face à face, je lui avais confié ma préoccupation première: mes sentiments naissants envers son frère aîné. J'admirais son parcours, et sa prestance aussi. Mes joues devenaient rouges quand il me posait une simple question et mes doigts se tordaient. Il le faisait pourtant le plus délicatement possible. Je répondais plutôt gauchement. Ce n'était pas des questions dérangeantes, mais peut-être qu'il s'intéressait à ma personne. C'est ce que j'en avais conclu. Et je demandai l'avis de ma chère amie. Elle me conforta dans mes pensées et je pus m'endormir paisiblement, la tête sur son oreiller de plumes.

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Assise à mon secrétaire, après avoir cuisiné une bonne tarte aux pommes avec Henriette, je pris ma plume et la trempai dans l'encre noire. J'étais décidée. J'allai faire joindre une lettre pour Alexandre de Cléry. Louise-Victoire m'avait vaguement donné le nom de son lycée et je savais que ça ne l'ennuierait pas. Bien qu'elle trouva cela bizarre que je jouais avec les garçons, lors des après-midis à Fontainebleau.

J'aimai passer au-delà des convenances. M'affranchir des règles de bienséance. Alors que je repensai à ce souvenir, ma plume en dessous de mon nez, un sourire naquit sur mon doux visage. Je cherchai quels mots à employer pour ne pas trop le brusquer, même si je le devinai sûrement impétueux.

Cher Alexandre,

Si je me permets d'user de votre prénom pour commencer cette correspondance, c'est que je pense que vous n'y verrez pas d'inconvénient.

Pardonnez mon côté légèrement insolente de vous écrire en premier et, je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous ne me répondez pas, mais j'ai besoin de m'exprimer au sujet de ce que j'ai sur le cœur.

Depuis que vous avez rejoins votre internat dans cette prestigieuse école militaire, je me languis de vous. Nous avions développé un début d'amitié, si brutalement interrompue par votre départ et je m'ennuie désormais..
Certes, Louise-Victoire est une amie très chère, mais je ne sais si elle voit l'avenir comme moi. J'ai toujours aussi soif d'aventures et d'histoires excitantes.

Malheureusement, je suis mise au pied du mur et Mère pense qu'il est temps que je fasse mon entrée dans le monde. Or, comprenez que je suis très angoissée à l'idée de me plier aux règles que toutes les jeunes filles attendent avec hâte. Je me sens seule et abandonnée. J'ai extrêmement peur du regard des hommes sur moi. Il est très différent du vôtre que je trouve profond, mystérieux et enveloppant.

Je m'égare dans mes pensées, veuillez me pardonner..
J'aimerais tant vous revoir dans les bals. Vous pourriez me faire virevolter et ainsi j'oublierai l'amer destin qui se présente devant moi..

Au plaisir de vous lire..
Vous êtes dans mes prières, sachez le.

Marie-Félicie de Maupertuis

Je pris soin de me relire et je cachetai la lettre. J'y inscrivis son prénom et son particule, le nom du lycée et la ville. J'espérai sincèrement que ma missive lui parviendrait. Je la parfumai avec un jet de mon vaporisateur et la fit sécher à la bougie. Puis, je m'empressai d'aller trouver Henriette pour la lui donner. Celle-ci me confia qu'elle la donnerait à celui qui distribuait et prenait les courriers de Mère. Lorsqu'elle s'éloigna, je plaçai mes mains sur mon cœur et je soupirai profondément.

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