Chapitre XII. Première partie

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Point de vue de Louise-Victoire

Aujourd'hui j'accompagnais ma mère à une réception chez les parents d'une amie.

D'ordinaire nous n'accompagnions pas nos parents à leurs réceptions, mais cette fois-ci j'avais eu le droit de venir car il y aurait d'autres amies à moi venues avec leurs parents. Pendant que les adultes se divertissaient dans un grand salon, des domestiques me menèrent au petit salon où se tenaient des autres demoiselles.

Lorsque je pénétrai dans la pièce, mes amies étaient déjà occupées à bavarder avec une vivacité qui leur était inhabituelle, avec un empressement que ne dénotait que des ragots. Je me dépêchai auprès d'elles et tentai de comprendre la cause de tant d'agitation.

Elles gloussaient et pouffaient avec effervescence, tantôt moquant, tantôt moralisant avec un air grave. Le sujet de leur animation était une correspondance qu'avait trouvé la cousine de l'une d'elles, et qu'elles se faisaient passer. On me chuchota que c'était quelque chose de bien étrange et de mauvais. La correspondance débauchée de deux femmes mariées. On me dit aussi que je devais en parler à personne et surtout pas à un parent. Parce qu'ils nous réprimanderaient de parler de cela. Plus tard nous parlâmes d'autres choses, mais je ne puis m'empêcher de continuer de penser aux lettres.

Lorsqu'il fut temps pour moi de partir, on me dit de la correspondance qu'elle était amusante et qu'il fallait absolument la lire, alors je pris le paquet de lettres qu'on me tendait et le glissai dans une poche de ma robe.


Le soir, enfin seule, dans ma chambre, j'ouvris les lettres. Des lettres parfumées comme le faisaient les dames quand elles écrivaient à celui que leur cœur chérissait.

Mais, en les lisant, je ne trouvai rien d'amusant. Au contraire, des larmes coulèrent sur mes joues. Je sus, je compris, que j'étais comme elles. Je n'eus aucune hésitation à ce propos, je le su, avec certitude, comme si je l'avais toujours su, comme si c'était une évidence. Je savais aussi que cela allait à l'encontre de bien des choses que l'on m'avait apprises, et que cela ne devait pas se savoir. Ni même ne devrait point exister, disait-on.

J'avais honte, j'étais désemparée, soudainement perdue...

Pour éviter que le commérage n'aille plus loin, pour que personne ne puisse jamais plus lire ces lettres, les partager avec d'autres ou s'en moquer, je décidai de les brûler. J'étais par ailleurs sûre que c'était ce qu'auraient voulu les dames concernées.

Je jetai les lettres dans le feu de la cheminée, là instantanément dévorées par les flammes brûlantes. Le paquet de feuilles noircit et partit en lambeaux, l'écriture élégante et délicate s'effaça sous la chaleur du brasier. Les flammes jaunes, orangées, presque rouges, léchèrent le papier crème et semblaient danser autour de ce bûcher.

Des étincelles crépitaient dans l'âtre, et la fumée laissa se dissiper les derniers effluves du parfum. Je regardai le feu consumer les dernières preuves d'une passion interdite, sans vraiment le regarder. Mon regard s'était noyé dans le tourbillon de l'embrasement.

Il ne resta que des braises rougeoyantes. Il ne resta plus rien des preuves de cet amour que l'on avait moqué et discrédité. Je raconterai plus tard à mes amies que j'avais brulé les lettres par peur d'être surprise en leur possession. Ce n'était pas un mensonge mais ce n'était pas non plus toute la vérité.

Je décidai que ce secret resterait avec moi pendant aussi longtemps qu'il le faudrait, avec l'espérance que peut-être le temps me ferait oublier mes penchants.

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J'enfouis donc mes sentiments au plus profond de mon être, fit tout pour les cacher et ne pas y penser. Je réfléchis longuement à comment ne plus être comme cela, ne plus éprouver cette passion interdite. J'aurais voulu changer, mais comme cela était difficile je choisi de me comporter comme il le faudrait, d'être ce que je n'avais jamais vraiment été : une jeune fille modèle avec les qualités qu'on attendait d'elle, douce, calme, innocente, vertueuse, pieuse. J'avais déjà certaines de ces qualités mais je les exagérai. Et puis ce n'était pas compliqué de jouer la fille calme et obéissante... une lassitude s'était emparée de mon âme, je n'avais juste plus l'envie, ni la force, d'être aussi insouciante et fougueuse que je l'avais été.

Je pensais qu'en me comportant ainsi je finirais par devenir comme il le fallait. C'était une tentative d'effacer ou de flouter cette partie de moi qui m'effrayait.

Je pris, sans vraiment le vouloir, un peu de distance avec Marie-Félicie, la situation dilemmatique m'y forçant. Mais autant j'éprouvais une certaine douleur et un embarras d'être à ses côtés, autant je pâtissais et souffrais d'être loin d'elle.

Je craignais donc de devoir souffrir en silence de ces transports qui soulevaient mon âme et de ce trouble qui me hantait.

Alexandre me confia un jour voir en elle une personne dotée des plus belles qualités. Après moult considérations, j'en vins à la conclusion que je préférais qu'elle soit avec lui qu'avec un inconnu. Ainsi elle serait toujours près de moi. Cette pensée apaisait ma jalousie et ma peine, ma vie semblait à présent teintées d'espoir.

Alors, quand Marie-Félicie m'exprima son désir de revoir mon frère, je sautai avec joie sur cette occasion de leur arranger un rendez-vous.

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