Heure 1

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« Je ne peux pas être malheureux, je n'ai aucune idée de ce qu'est le bonheur. »

Marc Levy

***

Comme tous les jours depuis des années, le réveil d'Adam affichait six heures lorsqu'il entama son éternel chant matinal. Adam grogna depuis son bureau en tentant de l'éteindre. Il soupira, comprenant que pour la énième fois, il s'était de nouveau endormi sur les dossiers qu'il devait étudier pour sa présentation du jour.

    Son portable se mit lui aussi à sonner les trois autres  réveils que son meilleur ami lui avait laissé en douce, la veille, avant de partir, bien conscient que le réveil serait compliqué. Seule la cacophonie des musiques mélangées qui résonnaient dans son petit appartement décida Adam à se lever pour les faire cesser.

    Il se dirigea ensuite vers la machine à café qui trônait fièrement dans son salon, unique trace de sa relation finie depuis six mois avec Claire. Adam évita de poser ses yeux sur l'empilement de vaisselle sale qui traînait dans l'évier.  Une semaine de plus ou une semaine de moins, qu'est-ce que cela changerait ?

    La tasse qu'il prit dans ses mains se renversa sur son torse encore nu à travers la chemise ouverte qu'il portait et il laissa échapper un cri de douleur. Commencer une journée en se brûlant n'augurait rien de bon, pourtant, il prit un chiffon qu'il passa sous l'eau froide et l'appliqua sur son torse calmement, le temps de finir le peu qui lui restait de sa boisson.

    Il appela son meilleur ami une fois sa tasse finie.

- Sam ?

- Qu'est-ce qu'il se passe, Adam ? Tu veux que je vienne ? Tu t'es cassé quelque chose ? commença à s'affoler Sam, habitué à la maladresse de son ami depuis quelques temps.

- Non, tout va bien.

- Explique-moi ces traces sur ton corps, alors, fit-il en scrutant d'un œil mauvais la caméra.

- Oh, ça ? comprit Adam en enfilant un jean, Je me suis juste brûlé, rien de grave. Non, je voulais savoir si tu pouvais m'accompagner à mon rendez-vous.

- Bien sûr que je serai là, tu peux compter sur moi. Je passe te prendre dans une heure. Fais toi beau !

- Toujours, sourit-il, rassuré de pouvoir compter sur son unique allié.

    Le silence reprit sa place quand l'écran de son téléphone redevint noir et Adam finit de boutonner sa nouvelle chemise propre avant d'attraper la bouteille de parfum pour s'en asperger.

*

    De l'autre côté de Manhattan, Mia appliquait un rouge mat sur ses lèvres qui rappelait celui de son chemisier. Elle lança un regard confiant au miroir qui lui reflétait une jeune femme aux boucles brunes  et au regard noir perçant. Elle finit par prendre son sac, ses clés, son portable et déposa un mot à côté de la place qu'elle avait laissée vide sous les draps.

    Elle ne se retourna pas une seule fois, pas même pour fermer la porte, qui, dans un courant d'air, claqua et fit voler le petit bout de papier sur lequel on pouvait lire en lettres fines : « C'était sympa. Peut-être à une prochaine fois. ».

    Quand elle atterrit dans la rue, elle appela un taxi et s'engouffra dans ce dernier en lançant à peine un bonjour au conducteur. Elle lui indiqua l'adresse et laissa les rues bondées de la ville la distraire pendant son voyage. Son portable vibrait sans s'arrêter et elle jeta à peine un œil au numéro qui s'affichait. Le chauffeur lui lançait des coups d'oeil, et elle le fusilla du regard avant de couper entièrement l'appareil.

    La voiture s'arrêta au bord de la route, près du Starbucks où Stéphanie l'attendait. Dès neuf heures tapantes, les sœurs Lee se retrouvaient dans leur endroit préféré autour de leur boisson favorite, et c'était parti pour affronter une nouvelle journée dans le monde du marketing de l'entreprise familiale que leur père leur avait léguée avant de disparaître soudainement. Entourées d'hommes qui ne croyaient pas en leurs compétences, ces deux femmes avaient dû se forger une personnalité explosive, et apprendre à ne pas se laisser marcher sur les pieds pour arriver à prouver être les dignes héritières de l'homme fort et ingénieux qui les avaient précédés.

- Demain, tu passeras à la maison ? demanda Stéphanie à sa sœur.

- Pas le temps, tu sais bien, fit cette dernière en croquant dans son croissant. Je dois voir monsieur Clarck demain soir, un gros contrat que je dois décrocher. D'ailleurs, j'aurais besoin que tu m'envoies l'historique de ses derniers gros investissements au nom de sa société. Oh, et, si tu pouvais me trouver s'il est marié ? En plus, j'ai rendez-vous avec quelqu'un.

- Toi ? Un rendez-vous ? Non, je n'y crois pas !

- Ne me dis pas que c'est tout ce que tu as retenu de ce que je viens de te dire.

- Chris Clarck est célibataire et enchaîne les conquêtes d'un soir. Ah, tiens, un peu comme toi. C'est une caractéristique devenue obligatoire pour prendre le poste de PDG ? réfléchit Stéphanie à voix haute, en posant sa main sur son menton.

- Continue.

- Mais quelle gâcheuse d'ambiance ! souffla-telle avant de reprendre, Je sais qu'il a investi beaucoup d'argent dans une société en Angleterre, dernièrement. Encore un pays qui revient en vogue.

- Hum, et quoi d'autre ?

- Il ne fait pas son âge, joue avec son charme indéniable et est d'une autorité sans faille avec ses  employés. C'est un homme sûr de lui. Il vit dans une villa de l'autre côté de Manhattan, mais ne paie jamais son café. Il sait ce qu'il veut mais aime particulièrement l'imprévu dans certaines situations... Je crois que je n'ai pas besoin de te faire un dessin.

- Non, effectivement. Bien. Je sais comment je vais l'attaquer, fit Mia, sûre de son plan.

- L'attaquer ? Tu n'y vas pas un peu fort ?

- Moi ? Jamais.

- Ne couche pas avec lui, la coupa Stéphanie.

- Ah ? s'étonna Mia, sans pour autant démentir sa cadette.

- S'il te plaît. Décroche ce contrat sans te vendre. Tu sais que je n'aime pas ça.

- Et, toi, tu sais que je n'aime pas quand tu me compares à une prostituée. Je sais ce que je fais. Et je le fais avec plaisir.

    Le serveur s'approcha de la table où les filles se trouvaient et jeta un regard brûlant à Mia qui s'amusait à jouer avec le décolleté de son chemisier depuis plus d'une demi-heure. Stéphanie intercepta l'échange et fusilla sa sœur du regard.

- Tu ne peux pas t'en empêcher. C'est une manie.

- Que veux-tu ? Les hommes m'aiment et j'aime les hommes. Au bout du compte, tout le monde est content !

- Si tu le dis...

    Mia finit son café et posa un billet sur la table en guise de pourboire. Stéphanie se leva et suivit sa sœur dehors, dans les rues ensoleillées de leur ville de coeur. Dehors, elles croisèrent un jeune homme en chemise blanche, qui souriait délicatement, respirant le bon air de la vie, du bonheur, et de l'espoir. Elles ne le remarquèrent pas une seule seconde.

    Adam tourna à l'angle de la rue, affichant un sourire apaisé pareil à sa chemise blanche tout juste repassée, et s'engouffra dans son café favori. Il vit un serveur ranger une table et prendre en main le billet qui était posé dessus. Il détacha un petit post-it de celui-ci et sourit. La demoiselle accompagnée de sa sœur lui avait laissé son numéro de téléphone. Il rayonna avant de se rendre compte de la présence d'Adam qui attendait derrière lui.

- Je suis confus, monsieur, j'arrive de suite.

- Ne vous en faites pas. J'espère qu'elle est jolie au moins, sourit Adam en posant sa main sur l'épaule du serveur.

- Oh, oui, plutôt...

24 heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant