Heure 5

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« Je préfère avoir le souvenir de ces deux soirées géniales [...] plutôt que de ne rien avoir du tout »

Rebecca Donovan

***

     D'ici une heure, le soleil se coucherait, mais Adam ne pouvait s'empêcher de rejouer la scène du déjeuner en boucle dans son esprit. Une fois le repas fini, ils s'étaient baladés, et avaient discutés, tels deux amis, heureux de se retrouver. Tout était si naturel entre eux que cela le déstabilisait. Depuis quand n'avait-il pas ressenti le poids sur ses épaules le quitter ?

    Il n'avait pas feint une seule fois d'être à l'aise. Il n'avait joué à rien avec elle. Et c'était aussi agréable qu'angoissant. Même avec son ancienne copine, il n'avait jamais ressenti ça.

    Le moment de se quitter avait fait exploser la bulle qu'ils s'étaient construits, ensemble. Il n'avait même pas essayé d'évoquer un nouveau rendez-vous, même strictement professionnel. C'est impossible, se disait-il, après ce que nous venons de partager. Mia n'avait rien dit non plus, le saluant de la main avant de s'enfoncer dans l'immeuble où ils s'étaient rencontrés pour la première fois.

- Adam ?

    Il se retourna d'un coup vers Sam qui l'observait, les traits inquiets.

- C'est elle ?

- Elle quoi ?

- Elle qui occupe tes pensées ?

- Lâche-moi, s'il te plaît.

- Tu ne lui as rien dit par rapport à ton projet, n'est-ce pas ?

    Adam s'éloigna violemment de son ami avant de tirer une nouvelle fois sur la cigarette qui se trouvait entre ses doigts.

- Je t'ai demandé de me lâcher avec ça, Sam !

    Ce dernier ne se découragea pas.

- Tu n'as même pas essayé de l'évoquer ?

    Sam revint au côté de son meilleur ami et attrapa le mégot fumant des doigts d'Adam.

- Tu sais que je déteste ça. Tu as milles autres façons de décompresser qu'en te bouffant la santé.

- J'étais bien avec elle... Même avec Claire, c'était différent.

    Il s'assit sur le canapé, sa tête entre les mains.

- On a discuté seulement deux heures. Mais j'avais l'impression de voir une fleur éclore.

- Je t'ai rarement connu si poète.

- Ne te fous pas de moi !

    Sam rit et s'installa sur le fauteuil qui faisait face au canapé. Il scruta la table basse où étaient empilés des papiers en tout genre et son attention se fixa sur une lettre au nom du propriétaire de l'appartement. Alors que son ami avait laissé son regard se perdre par la baie vitrée, il prit le courrier et eut le temps de le parcourir de long en large.

- Adam... Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

- De quoi ? Sam ! Tu n'as pas à fouiller, rends-moi ça !

- Tu dois retrouver de l'argent le plus tôt possible. Ça va faire deux mois que tu ne paies plus...

- Je sais. Je... Le propriétaire m'a dit qu'il comprenait. Mais j'ai reçu ça, hier matin, et je crois qu'il ne comprend plus. Je ne peux pas lui en vouloir. J'ai une semaine pour faire mes cartons. Et je m'en vais.

- Une semaine ? Et tu ne m'as rien dit ? Tu sais que je peux t'aider, enfin !

- Je dois pouvoir me débrouiller seul, c'est ce que les gens font. C'est ce que tu fais, aussi. À mon tour.

- Et la présentation ? Et le projet ? Et tout ce temps ? Et-

- Tu as vu le fiasco d'aujourd'hui ? Je fais perdre du temps, à toi, à moi, à la compagnie... Et ce n'est plus possible, ça. Mais ne t'en fais pas, je vais me débrouiller.

    Adam reprit aussi vite, d'un souffle rapide pour ne  pas avoir le temps de regretter ses mots.

- Je t'ai menti. Je ne suis jamais venu pour présenter quoi que ce soit d'autre que mon CV, ce matin.

- Dis-moi que c'est une farce. Où sont les caméras cachées ?

- Je suis désolé. C'est devenu trop compliqué. Je ne peux plus m'en tirer, tu le vois toi-même, je suis fauché, je n'ai nulle part où aller et je viens de flasher sur ma presque-patronne. Où est-ce que tu veux que j'aille comme ça ? J'avais besoin de ce poste mais j'ai tout gâché...

- Tu allais te présenter à un entretien d'embauche ?

- ReMind a connu trop de refus, je ne peux pas aller plus loin pour le moment. C'était la dernière chance que je m'accordais pour y arriver. J'ai besoin d'argent, et je dois abandonner ces gamineries. Ils avaient raison, Sam, ils avaient tous raison. Ils me regardaient foncer dans le mur, ils m'avaient prévenu. Pourquoi j'ai été si borné ? J'aurai dû accepter que les vies faites de rêves n'appartiennent qu'aux films et aux livres. Je suis désolé de t'avoir embarqué avec moi comme ça... Tellement désolé.

    Sam se leva, empoigna son ami par le col et le secoua.

- Où est passé l'Adam que je connais ? Où est celui qui enchaîne les sacrifices ? Où est l'homme qui ne recule devant rien ni personne avant d'avoir essayé ? Purée, mais réveille-toi mon vieux, c'est maintenant qu'il faut que tu retrouves ta fougue !

- Ce n'était certainement pas le bon jour, mais la voir m'a fait réaliser tout ce que j'avais perdu. Je ne crois pas que le jeu en vaille la chandelle finalement.

- C'est cette femme qui t'a retourné le cerveau ? Tu plaisantes, j'espère.

- Claire me disait que c'était de la folie. Mes parents aussi. Tous nos amis me l'ont répété. Mais j'étais trop buté pour le voir, tu comprends ? Je ne comprends même pas pourquoi toi tu es toujours là.

- Mais parce que j'y crois, moi ! Merde, Adam, ça ne va plus du tout, là ! Tu ne peux pas tout lâcher du jour au lendemain !

- Et pourquoi pas ? Tu finiras bien par le faire, toi. Autant ne pas nous faire perdre plus de temps que nécessaire...

    Sam regarda avec horreur son ami. Il ne le reconnaissait plus. Abattu comme il l'était, on aurait dit un enfant qui venait de se faire gronder. Et Adam venait de se prendre les réprimandes de la vie en pleine poire. Mais alors qu'il avait son meilleur ami sur qui compter, il se renfermait pour ne plus le laisser s'approcher.

- Tu ne me fais pas confiance ? Sérieusement, Adam, tu ne me fais plus confiance ? Mais si je suis là, c'est que tu comptes pour moi, c'est que je crois en toi !

    Adam s'effondra au pied du canapé sur lequel il était assis quelques minutes auparavant. Tout lui semblait flou, il se sentait horriblement mal. Horriblement mal, parce qu'il avait l'impression d'être un poids pour son unique ami, horriblement mal parce qu'il sentait qu'il s'était trompé toute sa vie, horriblement mal parce que tout ce qu'il avait fait jusque là s'était mal fini, et surtout, horriblement mal parce qu'il laissait glisser entre ses doigts la seule chose qui l'avait aidé à tenir jusque là : sa confiance.

    Sam vint serrer son ami dans ses bras, il laissa ses larmes tremper son t-shirt et il ne dit rien non plus quand Adam s'accrocha, peut-être trop fort, à son cou. Alors que lui avait beaucoup de mal avec la tendresse d'un câlin, il sentit que son ami en avait plus besoin que jamais, ainsi, il le serra lui aussi, pour lui prouver que peu importe ce qu'il lui ferait encore endosser, il serait toujours là, prêt à le remonter.

24 heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant