Heure 4

72 8 0
                                    

« Ce qui constitue un des plus grands mystères : comment sait-on que quelqu'un nous plaît ? »

Aidan Chambers

***

     Mia prit sa veste d'une main, glissa son portable dans sa poche et s'avança en direction du jeune homme qui l'attendait. Elle n'avait pas oublié sa proposition et cette pause lui était bienvenue.  Adam l'observait depuis une dizaine de minutes et sourit en voyant qu'elle s'approchait de lui. Curieusement, il avait pris le temps de reprendre ses esprits depuis le matin même, et il ne ressentait plus une once de stress face à cette femme majestueuse qui s'avançait vers lui.

    Elle l'apaisait. Lui qui n'était pas un homme anxieux de nature avait trouvé une présence qui le stabilisait plus encore. Mia avait une aura rassurante derrière son masque de guerrière. Sam avait été surpris quand Adam lui avait partagé cette sensation, lui l'avait plutôt trouvé distante et glaciale. Une femme qui maîtrisait tout jusqu'à la couleur de ses ongles de pied.

    Mia posa son regard dans le sien.

- Vous ici.

- Et vous voilà.

    Elle sourit discrètement.

- Où m'emmenez-vous ?

- Une préférence ?

- J'aimerais ne pas avoir à décider de quelque chose, une fois dans ma vie. Enfin, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

- C'est bien moi qui ai lancé l'invitation, si je ne me trompe ?

- Un point pour vous.

    Julie salua sa patronne et l'observa rentrer dans l'ascenseur avec cet inconnu au nom d'Adam Owen. Pour la première fois, elle avait senti une électricité palpable la parcourir. Comme si, peut-être Mia pourrait de nouveau voir en couleur.

    Cette dernière avait gardé le silence depuis qu'elle avait mis les pieds dans le lieu clos qui l'enfermait avec Adam jusqu'à la fin de la descente. Néanmoins, même sans parler, Mia en profitait pour détailler l'homme. Une dizaine de centimètres les différenciait, et le regard perçant qu'il lui lançait la mit presque mal à l'aise. Elle avait l'impression qu'il pouvait décrypter toutes ses failles, et, étonnement, ce qui la dérangeait le plus était le fait qu'elle n'y voyait pas d'inconvénient.

    Comment décrire ce qu'elle ressentait, là ? L'impression de déjà vu de la scène lui parcourait le corps et elle eut un sursaut lorsque la sensation lui enfonça un coup puissant dans le crâne.

- Tout va bien ?

- Bien sûr. Enfin, je veux dire, oui, ça va.

    Le silence revint. Les portes s'ouvrirent et Adam s'extirpa le premier. Il se retourna ensuite vers Mia, tendant sa main.

- Le trajet risque d'être un peu long, surtout à cette heure-ci. Cela vous pose un problème ?

- Où m'emmenez-vous ?

- Vous n'aimez pas les surprises ?

    Mia avait envie de lui dire que non, elle détestait ça. Depuis petite, les surprises la mettaient mal à l'aise, elles la stressaient, elles l'angoissaient. Même s'il s'agissait de fêtes pour son anniversaire, elle les avait en horreur. Mais, l'éclat brillant du regard d'Adam l'a l'en dissuada.

- Si, bien sûr que si.

    Un taxi s'arrêta à leur hauteur et ils rentrèrent à la suite dans le petit habitacle. Une femme légèrement âgée s'occupait de la conduite. Elle détailla leurs mains encore enlacés, surprise.

- Vous faites plaisir à voir, les jeunes !

- Oh ! s'excusa Adam en lâchant la main de Mia. Nous ne sommes pas...

- Où est-ce que je vous dépose, les amoureux ?

    Mia rit nerveusement, déstabilisée par le vide qui entourait ses doigts.

- Je... Je ne sais pas.

- C'est une surprise pour la demoiselle, voyez-vous ?

- Oh, excusez-moi !

- Je peux vous taper l'adresse ?

- Fais toi plaisir, bonhomme ! fit la femme en tendant son portable à Adam.

    Il pianota le nom de leur destination et reprit place au côté de son rendez-vous. Mia tritura nerveusement ses doigts. Elle faisait tourner sa bague autour de son doigt, presque machinalement, pour cacher l'état dans lequel Adam la mettait.

    Celui-ci regardait par la fenêtre distraitement. La demi-heure de voyage passa plutôt vite entre les interventions de la chauffeuse et d'Adam qui voulait montrer chaque immeuble à Mia. Il lui décrivait tout ce qu'il savait dessus, il lui exposait ses théories, lui faisait découvrir New York de son point de vue. Bientôt, ils arrivèrent dans Bronx, et Mia ne réussit pas à cacher sa surprise.

- Je suis... Curieuse.

    Lorsque la voiture s'arrêta à côté du célèbre zoo, Mia eut envie de hurler.

- Qu'est-ce que vous en dites ?

    De joie.

- J'adore ! Enfin, c'est mignon comme coin.

- Comment arrives-tu à si bien te contrôler, chérie ?

    Elle sursauta face au surnom dont il l'avait affublé, avant de comprendre que ce n'était pas sa voix à lui et que cette phrase ne lui était pas adressée à elle. Elle en fut toute retournée, et ne put s'empêcher de détailler le couple qui était passé à côté de leur fenêtre ouverte.

    Adam remercia leur conductrice avant de lui tendre deux billets. Elle les salua et les laissa de nouveau seuls dans la masse de monde qui les entourait. Adam attrapa la main de Mia pour ne pas la perdre dans la foule. Elle frissonna au contact de sa main douce et chaude.

    Elle avait beau aimer plus que tout cet endroit, la foule ne la rassurait pas, mais sentir sa peau contre celle du jeune homme calma son angoisse en accélérant les battements de son coeur. Il la tira dans un espace plus calme dès qu'il put et sortit des sandwichs faits main quelques heures avant. Ils s'installèrent en face d'un bassin d'où on pouvait distinguer des flamants roses se faire la cour.

- Je me rends seulement compte maintenant de combien ce repas est minable, j'en suis désolé.

- C'est  vrai que c'est une première, mais... C'est une idée merveilleuse.

- Vraiment ?

    Mia hocha la tête en mordant dans son sandwich.

- Quand j'étais petite, je rêvais d'emménager dans le zoo. Mon père m'emmenait le plus souvent possible, juste parce que les lions et les girafes me rendaient bien plus heureuses que mes camarades de classe. Puis, il a arrêté. Et je n'y suis plus revenue.

- Pourquoi ?

- Beaucoup de souvenirs sont enfouis ici.

- C'est vrai ?

- Oui...

    Elle resta pensive un instant.

- Et vous ?

- Moi, quoi ? répéta Adam, surpris.

- Pourquoi ici ?

- J'habitais dans le zoo enfant.

    Mia ne dit rien, attendant la chute de la blague.

- J'habitais vraiment dans le zoo.

- Mais comment ?

- Mon oncle. Ma mère et lui étaient vraiment proches, et depuis petit, j'aide ici.

- Vous viviez mon rêve, en fait !

    Adam s'esclaffa devant la mine déconfite de la femme.

- Une petite visite des coulisses, la prochaine fois ?

    Et ils ne surent pas si c'était la brise de vent ou l'évocation d'une prochaine fois qui les fit frissonner.

24 heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant