Heure 2

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« Les commencements ont des charmes inexplicables. »

Molière

    

***

Mia arriva dans son bureau avec trente minutes d'avance, son rendez-vous ne commencerait pas avant une bonne heure. Elle soupira et fonça en direction de Julie qui était accoudée à son bureau, le téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille, fouillant dans les papiers qu'elle accumulait depuis quelques semaines. Elle jeta un coup d'oeil à Mia et continua sa tâche.

    Cette dernière, qui avait la patience comme dernière qualité, battait des pieds en croisant les bras sur sa poitrine, ce qui lui valu un regard appuyé de la part de l'assistant de sa sœur sur cette même partie du corps. Elle ne posa pas une seule fois le regard sur celui brillant de Pierre.

    Julie n'eut pas le temps de couper sa discussion avec son interlocuteur qu'une main s'empoigna du combiné et le reposa, sans prendre la peine de raccrocher.

- Mia !

- Mademoiselle Lee, pour vous. Dois-je vous rappeler qu'avant toute chose vous êtes mon assistante et qu'il est impératif, et j'insiste, que vous soyez disponible quand j'ai besoin de vous, finit-elle en détachant chacun de ces mots.

- Et moi, je me dois de vous signifier que j'étais en ligne avec monsieur Clarck qui souhaitait avancer votre déjeuner !

- Grand bien lui fasse ! J'y serai. Bien, maintenant cette affaire réglée, j'attends dans la minute qui suit, le rapport sur l'homme qui arrive d'ici peu.

    Julie leva les yeux au ciel et hocha la tête. Ce que Mia pouvait l'exaspérer quand elle prenait ses airs de grande dame. Mais puisqu'elle souhaitait garder son poste, et, même si elle ne l'avouerait jamais, admirait particulièrement cette femme qui s'était construite seule, faisant preuve d'une dose d'acharnement et de courage  dont personne d'autre qu'elle n'aurait pu user, Julie se dépêcha de remplir sa mission avant de confirmer la rencontre entre sa patronne et le PDG de la deuxième plus grande entreprise de Manhattan.

*

    Adam sirotait son deuxième café de la journée, maintenant accompagné par son plus fidèle ami. Sam relisait les notes de son compagnon à voix haute, comme une tentative désespérée pour calmer ses nerfs tout en essayant de ne pas laisser paraître son anxiété. Depuis plus de deux ans, il avait suivi son meilleur ami dans chacune de ces idées les plus folles. Il l'avait vu se morfondre, regagner espoir et s'écrouler à nouveau. Il ne pouvait plus compter le nombre de fois où son ami l'avait appelé, rayonnant, à des heures les plus improbables de la nuit pour lui partager son nouveau projet, ou la graine d'idée qui s'était plantée dans son esprit. Il l'avait soutenu, plus que jamais il n'aurait imaginé soutenir quelqu'un. Il était resté présent, avait vu chaque étape de ce projet sur lequel son ami reposait beaucoup d'espoir.

    Ce projet était au final un morceau de sa vie à lui aussi.

- Ne t'en fais pas. J'ai confiance en cette présentation. Tout ira bien.

- Co... Comment tu peux dire ça si sereinement ? Est-ce que tu te rends compte que si ça loupe, tu seras obligé de reprendre du service dans le bar de ma mère ? C'est ça que tu veux ? Finir ta vie comme serveur dans un vieux bar miteux ?

- Sam, calme toi. Je sais ce que je fais. Je fais confiance à la vie et à ce qu'elle va m'offrir. Si le projet n'aboutit pas, c'est peut-être parce qu'autre chose de mieux m'attend. Tu comprends ?

    Non. Non, il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas comment on pouvait être si passif. Adam avait abandonné sa famille, son héritage, sa petite-amie, et perdu toute trace de vie sociale en dehors de lui depuis qu'il travaillait sur ce projet. C'était devenu toute sa vie.

    Si dans une semaine il ne pouvait toujours pas payer son loyer, il se retrouverait même chassé de son appartement. Et bien que Sam aurait donné sa vie pour son ami, il savait que cette situation ne pouvait plus durer. Adam méritait, au même titre que les autres, d'avoir une vie, une vraie. Un quotidien qui lui permettrait de ne pas être en permanence sur le fil.

- Tu ne veux pas que je t'accompagne ?

- Si, bien sûr. C'est ce qu'on avait convenu, hier soir, non ? À moins que tu aies autre chose à faire...

- Non, ça c'est évident que je t'accompagne jusqu'au bureau. Je parlais de t'accompagner pendant ta présentation...

- C'est gentil, mais ce n'est pas la peine. Je dois pouvoir y arriver seul, tu ne crois pas ?

- Si ! Bien sûr que si. C'est juste que...

- Tu as peur. Je sais. Moi aussi.

    Adam posa sa tasse et se rapprocha de son meilleur ami. Il le prit dans ses bras et leur étreinte dura assez longtemps pour que chacun puisse calmer les battements de son coeur dus au stress. Ils se détachèrent l'un de l'autre et après un coup d'oeil à l'heure, se décidèrent à partir.

    Adam sentit la culpabilité former une boule dans sa gorge. Il n'avait pas osé dire à son ami qu'il se rendait auprès d'une proposition d'emploi plutôt qu'une présentation de son projet. La peur d'échouer l'avait forcé à chercher un boulot plutôt que de continuer à ramer autour de son idée. Et son entretien chez Lee avait intérêt à bien se passer s'il ne voulait pas se retrouver sans rien.

    Au début, il y avait tellement cru que lorsque la réalité s'était présentée à lui, il avait vécu un des chocs les plus violents de sa vie. Il avait réussi à ne pas perdre espoir malgré tout, et avait continué à chercher des personnes pour le monter. Mais sans argent et sans aide, Adam était resté au point mort, essuyant refus sur refus, alors, au fil des semaines et des mois qui s'étaient écoulés, il avait commencé à chercher autre chose.

    Au fond de sa tête et d'une boîte à chaussure, il avait rangé ses idées, ses recherches et ses rêves de gamin et s'était mis en quête de ce que ses proches avaient appelés la vraie vie. Le poste d'assistant qu'il avait vu après de nombreuses recherches lui permettrait peut-être de se recentrer enfin.

    C'était sa dernière chance avant d'entraîner son ultime soutien vers le fond.

*

    Mia épluchait depuis une heure le rapport que Julie lui avait envoyé, à la recherche de la moindre information qui lui aurait échappé. Elle était déstabilisée par le peu de renseignements qui s'y trouvaient. Elle n'employait jamais de personnel anonyme : pas assez d'expérience, pas d'assurance des patrons antérieurs, rien qui pouvait lui indiquer si, oui ou non, elle pouvait lui faire confiance. Cependant, même si le jeune homme avait le profil parfait de ceux dont elle se méfiait, elle ne put s'empêcher d'observer la photographie qui accompagnait la lettre qu'il avait tenu à soigneusement rédiger à la main.

    Ses yeux portaient toujours sur son regard bleu pétillant, son sourire sincère, ses boucles blondes et les traits de son visage qui lui paraissaient rassurants. Elle était certaine qu'elle l'avait déjà croisé. Mais même avec cette agréable sensation, elle ne comprenait pas pourquoi cette fois, son coeur battait un peu plus fort dans sa poitrine, ni pourquoi d'un coup, elle se mit à vérifier que tout était parfait, que ce soit sur elle ou sur son bureau.

    Elle ne se reconnaissait pas, elle était anxieuse de recevoir le jeune homme. Elle avait une électricité qui la parcourait de la tête aux pieds qui signifiait une chose claire et nette. Mia avait peur pour la première fois de ne pas savoir comment impressionner quelqu'un. Après ce constat, elle se mit une claque mentalement.

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