Avant de partir, Bernard avait dit :
─ Tu vas voir, les vacances avec les Kocinski, c'est excursión à gogo, farniente and barbecue on repeat.
Avec son accent franche-comtois, il était ainsi parvenu à porter atteinte à non pas une, mais trois langues différentes. Danaé s'était contentée d'acquiescer, ailleurs. Si elle avait écouté, elle aurait réalisé que Bernard ne plaisantait pas.
Réveillée à 8 heures par le bruit infernal de la machine à café – seul confort que Bernard se refusait à abandonner, Danaé a mangé les croissants achetés par Siloë encore endormie. La veille, elle s'était couchée à point d'heure, pendue à son téléphone. Paul était connecté sur Instagram, elle avait fait une bataille de regard avec le point vert sur sa photo de profil. Danaé avait perdu, il ne lui avait pas envoyé de message. En revanche, il avait posté un tas de stories. Danaé les avaient toutes regardées avec son compte privé.
Dessus, elle n'était pas Danaé, elle était @héloise_crnt et sa photo de profil était un coucher de soleil. Dans sa bio, elle avait écrit : « j'aime la vie et la poésie | she/her » et ainsi, elle était sûre que Paul ne la grillerait jamais, car Danaé n'aimait pas la poésie, et elle aimait de moins en moins la vie. Sur ses stories, Paul était en soirée sur les quais de la Seine, il tisait avec ses potes. À 2 heures du matin, il avait posté des vidéos de lui sur un Vélib, le mouvement du téléphone vous donnait le mal de mer. Il avait terminé la soirée dans un appartement chicos du quartier Saint-Michel. Une fille avait piqué son téléphone et s'était filmée en train de chanter par-dessus le dernier titre de Wejdene. Danaé avait fulminé. Il avait terminé avec cette fille, c'était sûr.
Son coup de sang passé, elle avait activé sa localisation Snapchat pour que Paul voit qu'elle était loin, qu'elle était en vacances à la mer et qu'elle s'amusait tellement mieux sans lui. Elle avait posté des Réels Instagram et des Tiktoks en compilant les petits vidéos prises dans la journée, le tout sur une musique aux mélodies d'été et de liberté. Elle avait parlé sur la gueule de son ex dans la conversation de groupe, et ses copines restées à Paris avaient, avec elle, tenté de trouver l'identité de la fille des stories. Sans succès. Quand la frénésie de Danaé s'est calmée, il était 3 heures du matin. Cinq heures de sommeil plus tard, elle est sacrément bougon.
Au petit matin, Siloë lit les messages manqués pendant son sommeil. Danaé l'observe du coin de l'œil. Elle attend un commentaire, un soupir, un : « Lâche l'affaire sérieux. » mais Siloë ne dit rien. Elle repose son téléphone et ouvre le pain au chocolat en deux, dans le sens de la longueur, pour séparer les parties natures des morceaux de chocolat. Bernard rentre dans le camping-car au même moment.
─ Quel temps magnifique ! On se croirait aux Maldives.
Bernard a tendance à exagérer.
─ Tu veux faire quoi aujourd'hui ? demande sa fille.
─ Mission du jour, mon commandant, c'est de trouver un endroit où poser le camping-car. Un camping, une aire de caravanage, un jardin de propriétaire généreux. Une fois l'objectif atteint, c'est repos pour le reste de la journée. Plage, bronzage, mots fléchés. Ce midi, pique-nique en forêt, ce soir, barbecue. Demain, les hostilités commencent. Visite des Sables d'Olonne le matin, canoë, kayak, paddle dans les marais l'après-midi.
Une vague de fatigue s'effondre sur Danaé. Elle est déjà épuisée par le programme, et il n'a pas commencé. Elle pensait avoir affaire à des vacances tranquilles, dont le seul but aurait été de manger des glaces sur la plage. Les jeux en voiture auraient dû lui mettre la puce à l'oreille. Bernard n'est pas du genre à mariner dans l'ennui.
─ Ça vous va ? demande-t-il, par principe.
Danaé opine du chef. Comment pourrait-elle dire non ? Elle est invitée aux frais de la maison. Contre toute attente, c'est Siloë qui semble réticente.
─ Bah, c'est-à-dire que... avec Danaé on pensait aller voir des amis pendant que tu trouvais une solution pour le camping-car.
Bernard lève un sourcil, Danaé retient le sien. Ah bon ? C'était prévu ?
─ Des amis ? Qui ?
─ On a des copains du lycée en vacances dans le coin. On voulait aller à la plage avec eux aujourd'hui. Après, demain, on fera ce que tu veux !
Siloë ne bronche pas, sa voix ne s'éraille pas. Danaé sait qu'elle ment, pourtant, son amie ne laisse rien transparaître.
─ Des copains, ça veut dire des garçons ? s'inquiète Bernard.
─ Des copains, ça veut dire des garçons et des filles. Tu sais, en français, le masculin l'emporte.
─ Mais ces copains et ces copines, (Bernard, le roi de l'écriture inclusive.) vous les voyez le reste de l'année, non ?
─ Papa, réclame Siloë, s'il te plaît, juste pour aujourd'hui.
Elle n'a plus d'argument, elle en est rendue à faire les yeux doux. Danaé regarde la scène interdite, et sous ses yeux, Bernard fond pour sa petite fille. Il cède en un claquement de doigt. C'est impressionnant. Les parents de Danaé n'auraient jamais capitulé de la sorte. Avec eux, les négociations durent des heures, et des heures. Danaé n'aime pas renvoyer à la figure de Siloë son statut d'adoptée, mais clairement, avec les parents de Danaé, un truc comme ça, ce ne serait jamais passé.
─ D'accord, mais à la seule condition qu'on mange ensemble ce soir. Je dois vous emmener à la plage ?
─ Non, c'est bon. On va se débrouiller. Merci, merci, papa ! Tu es le meilleur des papas !
Ce compliment gonfle le torse de Bernard d'orgueil. Il donne des recommandations en l'air, pas d'alcool, pas de cigarettes, on pense à mettre de la crème solaire et à s'hydrater toutes les trente minutes, on met son téléphone en mode économie de batterie pour ne pas tomber en rade et ne plus être joignables... Les filles disent oui, Danaé fait semblant d'être dans la confidence, mais elle n'a aucune idée de ce que Siloë a en tête.
Quand enfin, Bernard sort pour téléphoner à un camping, elle chuchote à son amie :
─ C'est quoi le plan ?
─ J'ai croisé un gars à la boulangerie, il est là avec des potes. Il est beau, il est grand, il est galant, il va te faire oublier Paul. J'ai pris son numéro, on se retrouve à la plage à 14 heures.
Danaé a un mouvement de recul. L'excitation retombe sec. Siloë vient carrément de la lui mettre à l'envers. Face à sa moue vexée, sa meilleure amie s'étonne :
─ Quoi ? Pourquoi tu fais la gueule ?
─ C'est pas à toi de décider si je vais oublier Paul ou non et comment je vais le faire.
Siloë lève les yeux au ciel.
─ Je disais ça pour rigoler. Je pensais juste que ce serait cool de faire de nouvelles rencontres.
Danaé retrousse les lèvres, elle n'y croit pas. Siloë a envie de jouer les entremetteuses. Elle déteste Paul, elle a été la première à sauter de joie quand ils ont annoncé leur rupture. Ce qui agace Danaé, ce n'est même pas que son ami lui cherche un prétendant, c'est qu'elle ait déjà tourné la page. Pour Danaé, aucun doute, elle se remettra avec Paul, ils sont faits pour être ensemble. Que Siloë pense le contraire, ça la fout en rogne.
Son silence s'éternise. Siloë a mangé toute la pâte feuilletée de son pain au chocolat, il ne reste que le meilleur. Elle déclare :
─ Après, si tu veux rester ici avec mon père, tu peux.
─ Non, répond fermement Danaé.
─ C'est bien ce que je pensais.
![](https://img.wattpad.com/cover/272591171-288-k966478.jpg)
VOUS LISEZ
Chaud
Teen FictionSur la côte de lumière, un village de pêcheurs est le théâtre des émois de la jeunesse et de l'éveil des sens. Don et Ilyès n'ont pas revu Jérémie depuis qu'il a mystérieusement arrêté de venir au lycée. Le trio se retrouve pour la première fois pen...