Chaud

EPISODE 1 : 20°C (#4)

─ Est-ce que c'est un animal ?

─ Ce n'est pas un animal.

Le camping-car ralentit à l'amorce d'un virage. Le corps de Danaé épouse la courbe du véhicule. Machinalement, elle regarde son téléphone, comme elle l'a fait trente secondes plus tôt, et encore trente secondes avant. Il n'y a pas de notifications. Cette perspective la déprime. À sa droite, au milieu de la banquette, Siloë lui tapote la cuisse.

─ À toi.

Danaé sort de sa torpeur.

─ Hein ?

─ Essaie de deviner à quoi pense papa.

─ À une souris.

─ Mais non ! Il vient de dire que ce n'était pas un animal. Il faut que tu poses des questions.

Danaé n'a pas envie de jouer. Elle préférerait que Bernard, le père de Siloë mette de la musique, aussi ringarde soit-elle. Du jazz, de l'opéra, des psaumes religieux, n'importe quoi ! Elle ne souhaite que rouler en silence, sans devoir simuler un intérêt pour ceux des autres. Manque de pot, Siloë et son père adorent les voyages en voiture. Pire, ils aiment les rendre ludiques. Depuis 10 heures du matin, heure du départ, les jeux s'enchaînent. « Le premier qui voit une voiture rouge a gagné», « à quoi je pense ?» et le plus barbant de tous : « De quel département provient la voiture devant nous ? » Siloë connaît sa carte administrative sur le bout des doigts, Danaé ne sait que d'où elle vient. Ils auraient pu abréger le calvaire d'une heure, mais le père de Siloë refusait d'emprunter l'autoroute : « On ne va pas donner de l'argent aux grandes entreprises, elles en ont bien assez ! Puis, les petites routes, ça fait voir du pays.

Du pays, ils en ont vu dans la journée. Cinq cents kilomètres de bourgades, de départementales et de tracteurs qui ralentissent la circulation. Danaé en est parvenue à la conclusion que la France est bien une et indivisible : elle n'est composée que de champs.

À midi, ils ont mangé sur les bords de la Loire, au milieu d'autres touristes en pause sur leurs trajets. Bernard a sympathisé avec des vieux qui admiraient son camping-car. Les filles ont fait la sieste pendant qu'ils discutaient chevaux, aménagements et aires de vidange. Ils sont repartis en début d'après-midi, ils leur restaient de nombreuses heures de route.

Heureusement pour Danaé, le voyage touche à son fin. Sur le GPS, le point rouge avance millimètre par millimètre. Le bleu fluo de la mer est apparu sur la carte depuis un quart d'heure. Ce n'est plus très loin.

Danaé n'a toujours pas posé de question pour deviner à quoi Bernard pensait. Elle se risque à demander :

─ Est-ce que c'est quelqu'un ou quelque chose que l'on a croisé aujourd'hui ?

─ Oui, répond Bernard.

Sans attendre son tour, elle tente :

─ Est-ce que c'est le vieux de ce midi, celui avec une casquette rouge ?

─ Oui ! C'est lui !

Siloë est bouche bée. Coup de bol ou télépathie, Danaé ne sait pas comment elle a fait. La tête de ce vieux avait quelque chose de mémorable, c'est ce qui lui a mis la puce à l'oreille. D'un geste discret, Danaé déverrouille son téléphone. Deux minutes de plus sont passées, l'écran n'annonce rien. Le téléphone est en surchauffe, bouillonnant entre ses doigts. Ses minutes sont comptées. Les yeux de Danaé croisent ceux de sa meilleure amie, elles se comprennent aussitôt. Siloë lui adresse un sourire triste, visiblement désemparée.