Au dernier jour des vacances, Siloë se réveille avec un mal de dos et des pensées fourmillantes dans la tête. Depuis quelques jours, elle n'arrive plus à réfléchir. Mille voix hurlent dans son esprit. Elle aimerait les faire taire, mais ne parvient pas à démêler les nœuds qui libéreraient sa conscience prisonnière. Danaé dort à côté d'elle, dans le camping-car. Cyanne les a ramenées en fin de soirée.
Son père ronfle sur la couchette, en bas. Comme d'habitude, Siloë est la première réveillée. Elle descend par l'échelle, loupe une marche et manque de s'écrouler sur le sol. Elle tombe de justesse sur ses deux pieds. Machinalement, elle attrape cinq euros dans le portefeuille de son père, enfile une veste et des tongs et sort du camping-car pour aller acheter des croissants. C'est une bien plus longue route qu'au premier jour des vacances, quand ils s'étaient garés sur la place de la mairie. Au moins une demie-heure de marche, il faut qu'elle longe une route nationale sur cent mètres, qu'elle remonte une partie de la corniche avant d'arriver au bourg. Siloë s'engage sans broncher, marcher lui fera du bien.
Sur le chemin, elle se laisse dépasser par les vélos et escalade les rochers quand leur accès n'est pas clôturé. Elle saute de pierre en pierre, elle descend un escalier de rondins pour enfoncer ses orteils dans le sable. Le vent se lève, les vagues se rebiffent, elles qui étaient les grandes oubliées de ces dernières semaines. Le ciel n'est pas bleu, il s'est teint de gris et de blanc, si lumineux à cause du soleil derrière les nuages que Siloë ne peut pas lever la tête sans froncer le nez. Le macadam de la route reluit au loin, l'air est chargé de la moiteur d'une fin de canicule. L'orage est pour ce soir.
Pendant qu'elle marche, elle pense. Du moins, elle essaie d'attraper les idées dans l'imbroglio qu'elles forment. Parfois, elle parvient à attraper le bout d'une réflexion, elle tire dessus jusqu'à ce qu'elle coince. Parfois, elle tire si fort qu'elle parvient à la dénouer. Une milliseconde, une sensation de clarté la réchauffe. Quand elle arrive à la boulangerie, elle en a démêlé quelques unes. Siloë sait vaguement ce qu'il lui reste à faire, à partir de cet instant.
D'abord, elle achète des croissants. Enfin, non, elle achète un croissant, un pain au chocolat et un pain aux raisins. Dans la file, elle espère croiser Jérémie, histoire de boucler la boucle. Premier jour, dernier jour. Ce serait parfait. Elle est friande des trucs qui s'emboîtent bien ; malheureusement, il n'est pas là. La boulangère tend le sac en papier imbibé de gras et elle entame le chemin inverse. Il lui paraît moins long. Peut-être car elle le connaît, peut-être car ses pensées sont moins floues. Le chemin du retour paraît toujours plus court. C'est une de ces lois universelles étranges.
De retour au camping-car, une heure plus tard, personne n'est réveillé. Siloë dépose le sachet de viennoiseries sur la table et s'assoit sur le siège passager, dans l'habitacle, pour traîner sur son téléphone et regarder des vidéos sans déranger personne. Là-haut, ça turbine toujours. Elle repense aux discussions avec Madeleine, avec Danaé. Son amie ne lui a pas reparlé de Paul, ni de Don d'ailleurs. Siloë n'a pas posé de questions, elle commence à se dire que la vie sentimentale de Danaé n'est pas autant ses affaires qu'elle le pensait. Une formule lui reste en mémoire : « Y a que toi, qui refuses de t'aimer. » Et Madeleine de dire : « Si la personne t'aime déjà, le philtre d'amour est inutile. »
Siloë pose son téléphone sur le tableau de bord et retourne dans le camping-car. La fiole est quelque part caché au fond de son sac à dos, entre un paquet de gâteau et un tube de crème solaire. Elle est collante et pleine de sable. Siloë la regarde à la lumière, ouvre le bouchon et sent le liquide. L'odeur fruitée est gentillette. Siloë se ronge l'ongle de l'auriculaire, hésitante. Son impulsivité prend la décision à sa place. Elle attrape un verre, le remplit d'eau et verse lentement deux gouttes à l'intérieur. La potion rose chute dans le liquide et laisse à la surface un trace ondulée de son passage. Siloë touille avec son doigt. La respiration de Danaé s'emballe, là-haut, Siloë se raidit, de crainte qu'elle se réveille. Si elle la surprenait, ce serait trop la honte. Mais Danaé dort, et son papa aussi. Siloë prend une longue inspiration, puis elle avale le verre d'une traite.

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Chaud
Teen FictionSur la côte de lumière, un village de pêcheurs est le théâtre des émois de la jeunesse et de l'éveil des sens. Don et Ilyès n'ont pas revu Jérémie depuis qu'il a mystérieusement arrêté de venir au lycée. Le trio se retrouve pour la première fois pen...