Chaud

EPISODE 8 : 32°C (#4)

Don frappe sur la carrosserie de la voiture et fait trembler l'habitacle. Comme un daron, il se penche par la fenêtre ouverte et déclare :

─ Bon les loulous, rentrez bien. Faîtes attention, pas de bêtises.

Il cligne d'un œil avec frénésie, Ilyès soupire et échange un regard accablé avec Jérémie, sur le siège passager.

─ On peut pas le laisser là pour toujours ? propose-t-il.

─ Mais non ! tempère Jérémie. Il finirait par nous manquer.

─ Pas à tout le monde... bougonne Ilyès.

Don se contorsionne pour déposer un baiser sur la joue de son ami. Ilyès grimace. 

C'est déjà le départ. Dans la nuit, l'orage a éclaté, les températures ont chuté en quelques heures. Il fait presque froid désormais. Jérémie a mis un pull et un jean. La route est encore mouillée de l'averse matinale, les effluves de goudron vous prennent au nez et vous font tourner la tête.

La nuit dernière, le tonnerre les a tenus éveillés. Les garçons ont mis à profit leur insomnie pour faire le bilan de leurs vacances.

─ On a rien branlé, a fait remarquer Ilyès.

C'est vrai, en un sens. Quelques sorties plages, des soirées alcoolisées, des kebabs et des croissants engloutis. Mis à part ça, ils ont glandouillé au lit et lézardé au soleil. Ils n'ont même pas visité un musée. Dans la famille de Jérémie, les vacances doivent toujours être culturelles. Quand il fera le récit à ses parents, il inventera la visite d'un château médiéval, d'une église ou d'un marais salant, histoire de ne pas avoir de souci.

─ Moi, j'ai rien branlé, a rétorqué Don. Vous...

Jérémie a ri en silence, Ilyès a levé les yeux au ciel.

─ Il est relou, en fait. On n'aurait jamais dû lui dire.

Au contraire, Jérémie pense qu'ils ont très bien fait de lui dire. Les blagues salaces et déplacées, les remarques grivoises à la limite de l'homophobie, tant d'indices qui prouvent que Don s'en fout. Il reste fidèle à lui-même : un être vile et obsédé. S'il était soudain devenu poli et prudent dans leur présence, Jérémie se serait inquiété.

Puis, il peut parler tant qu'il veut, il ne s'est rien passé de plus que de nombreux baisers volés. Jérémie ne se laisse pas toucher, c'est trop difficile d'accepter des mains étrangères sur son corps. Il lui faudra du temps avant d'oser le partager, il faudra d'abord qu'il l'embrasse, ce corps meurtri, malmené, haï. Jérémie est confiant : pendant ces vacances, il n'a peut-être rien fait, mais c'était bénéfique. C'était quelque chose qu'on avait essayé de lui inculquer à la clinique : apprendre à se reposer. Il n'avait jamais réussi jusque là.

Retour sur le départ. Don est avachi sur la portière, sa tête dépasse à l'intérieur de la voiture.

─ C'était cool, n'empêche. Bon, j'aurais pas pécho, quoi.

─ T'as encore une semaine ici, lui rappelle Jérémie.

─ C'est vrai. Mais tout seul, j'ai moins de chance de rencontrer du monde.

─ Tu baiseras un jour, poto, t'inquiète pas pour ça, lui assure Ilyès.

Don affiche un sourire franc. Un blanc s'installe. Jérémie regarde sa montre, son train part bientôt et Ilyès doit l'amener à la gare.

─ Si jamais... inspire Don.

Jérémie sent la connerie arriver.

─ Un petit plan à trois entre copains...

Ilyès attrape la moulinette sur la portière et remonte la fenêtre, la tête de Don se soulève avec le mouvement de la vitre. Il gémit :

─ Aïe, ma tête, ma tête, ma tête !

Ilyès libère la tête de Don. Celui-ci recule en maugréant :

─ T'avais promis pourtant.

─ Je suis pas un mec de confiance, tu le sais, pourtant.

─ Je t'aime, réplique Don.

─ Oh arrête, tu vas me faire rougir. Bon allez, on y va, sinon Jérémie va louper son train. Il est à quelle heure déjà ?

─ 10 heures 23.

Ilyès met le contact, la Saxo Bic rugit de contentement. La radio s'allume, Skyrock diffuse le dernier Niska, Don s'écrie :

─ Monte le son, monte le son !

Plutôt, Ilyès desserre le frein à main et appuie sur l'accélérateur. Don court après la voiture pendant quelques mètres, sans raison, parce que c'est Don. Jérémie lui fait coucou à travers le pare-brise arrière. Puis, leur ami disparaît. Les garçons laissent Don en vacances.

Le trajet se fait en silence, ils écoutent la musique. Par moments, Ilyès attrape la main de Jérémie, timidement, sans lui toucher la cuisse ou une autre partie de son corps. Il fait attention, Jérémie le sent, il est patient, il attend les feux verts. Jérémie espère de tout son cœur pouvoir les lui donner un jour.

Ils arrivent à la gare, là où deux semaines plus tôt, Jérémie débarquait. Ilyès se gare sur le parking à côté du bâtiment. Devant eux, un grillage protège la voie ferrée. Un train siffle le départ et avance avec langueur. Ilyès demande :

─ C'est pas ton train, par hasard ?

Jérémie cherche son ticket dans son sac et vérifie l'horaire.

─ Oh.

─ Quoi ?

─ C'était 10 heures 13.

Les garçons regardent l'heure sur le tableau de bord : il est 10 heures 14. Le train est déjà sorti de gare.

─ Ça veut dire qu'il va falloir que tu fasses le trajet avec moi, conclut Ilyès.

─ On dirait bien.

─ Tu l'as fait exprès ?

─ Moi ? s'étonne Jérémie. Non, je suis pas assez malin pour ça.

Ilyès rit avant de l'embrasser.

─ Au contraire, je pense que tu es très malin.

Ils s'embrassent de nouveau, avant de faire demi-tour. Ils ont quelques deux heures et demie de route ensemble, et bien plus de temps encore dans les semaines à venir.

En rangeant le billet du train loupé dans la poche de son sac à dos, Jérémie tombe sur une carte de visite qu'il est certain n'avoir jamais vue avant.

─ C'est quoi ça ? questionne-t-il.

─ Quoi ?

Il tend la carte à Ilyès, c'est un bout de carton jaune avec une inscription rouge : « La clairière des cœurs cassés. Chez nous on peut tout réparer. Même l'impensable. » Une adresse et un numéro de téléphone. Le petit dessin représente un mobile-home et un chat perché sur son toit. Ilyès secoue la tête.

─ C'est un truc qu'ils ont dû te filer dans un magasin de souvenirs. Donne-la moi, ça sert pour faire des filtres de clope.

Ilyès la met dans sa poche. Ils entrent sur la nationale, la Saxo Bic accélère direction la maison.