EPISODE 4 : 24°C (#3)

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Le sujet est venu par hasard.

Ce type, Bernard, a débarqué dans son camping-car gargantuesque. Face au groupe interdit, il est descendu de la cabine, comme un pilote de ligne après avoir survolé l'Océan Pacifique, même lunettes, même posture, même sourire Colgate. D'un coup d'œil, Cyanne a guetté la réaction des deux dames. Madeleine et Rosa se pâmaient devant ce quinquagénaire hippie, velu, aux airs d'un George Clooney bon marché. Il a dit :

Bonjour, excusez-moi de vous déranger.

Madeleine et Rosa ont secoué la tête en chœur, pour montrer qu'il ne les dérangeait pas du tout.

Je cherche un endroit où poser mon camping-car pour les vacances. Quelques jours, histoire de dépanner.

Madeleine et Rose ont acquiescé d'un même chef.

Un type au PMU m'a parlé d'une certaine Madeleine.

C'est moi ! s'est-elle écriée avec un pas en avant. C'est moi, Madeleine.

Je...

Vous pouvez rester, ce terrain est à la communauté !

Ainsi, c'était acté. Cyanne a échangé un regard discret avec Loup, il a haussé les épaules avec nonchalance. Cyanne s'est résolue à accepter qu'ici, les choses se déroulent sans logique ni prudence. On accueille les inconnus et on vit sans souci du lendemain. On aurait pu lui annoncer que les gens autour d'elle ne sont pas réels, que ce sont tous des automates inventés par un savant fou qui se sentait seul – non, ça, c'est Professeur Layton et l'étrange village... – Cyanne aurait trouvé cette explication plus sensée.

Pour fêter l'arrivée d'un nouveau venu dans le camp – de nouveaux venus, paraît-il, car Bernard aurait deux filles à sa charge – ils ont pris l'apéro. Méthode très franco-française de sceller un pacte, une union, une décision. Bernard a déplié l'auvent et installé la table de pique-nique en plastique, la bleue, avec les sièges intégrés à l'armature. Il a sorti le Ricard et un Côteaux du Layon. Face ce séduisant inconnu, les bonnes résolutions de Madeleine ont volé en éclat, elle a bu l'alcool qu'elle se refusait en temps normal. Les femmes ont pris du blanc, les hommes du jaune, et Cyanne a pensé que Marion s'insurgerait de la division des genres aussi inscrites dans les corps.

Tout de long, Madeleine et Rose ont battu des cils et ri à gorge déployée. Cyanne a observé le spectacle avec amusement et intrigue. La séduction existait toujours passé la jeunesse. Parfois, elle l'oubliait. Elle a interpellé Loup, laissant les vieux à leurs mièvreries. C'est ainsi que le sujet est venu par hasard :

Faut que je te pose une question.

Vas-y, l'a encouragé Loup.

Tu dis que tu es parti en mer à 4 heures ce matin, mais on s'est vu à 7 heures du matin. Tu veux me dire que tu n'as pêché que trois heures ?

Les mathématiques de la situation la dérangeaient. Cyanne est trop pointilleuse, Marion le lui reproche souvent. Mince, enfin, elle discute avec les marins-pêcheurs, sur son terrain de recherche, ces hommes et ces femmes reviennent éreintés, en début de soirée. Trois heures de pêche, enfin, c'est ridicule ! Sauf si on est un oiseau. Sauf si on a le pouvoir de se transformer en oiseau...

Je n'ai pas pêché, je suis en vacances.

Sourcil levé. Le mystère s'est épaissi.

Qu'est-ce que tu fais en mer si tu es en vacances ?

Alors, Loup s'est penché à son oreille. Personne autour de la table ne l'a remarqué, occupé à se flatter, vider leur verres, et se flatter de vider leurs verres. Le murmure de Loup a soulevé un frisson sur le corps de Cyanne, tête aux pieds, organes compris. Il a dit :

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant