Chaud

EPISODE 6 : 27°C (#2)

La première grosse crise de jalousie, c'était à cause de Mélodie.

Mélodie était une fille dans la classe de Danaé, une nouvelle arrivée au mois de mars. Ses parents travaillaient à l'étranger, Mélodie ne les voyait jamais. Mieux encore, elle avait l'appartement pour elle toute seule. Cent mètres carrés avec vue sur Montmartre. Autant dire, elle était pé-tée de tunes. Mélodie avait ses défauts, elle parlait d'elle sans arrêt. Derrière son dos, Danaé la surnommait « Moi je », car c'était la formule par laquelle elle commençait toute ses phrases. Son sens de l'humour et son goût pour les beaux vêtements palliaient à ce narcissisme. Danaé avait trouvé en cette nouvelle élève une camarade de shopping. Mélodie savait se saper, y avait pas à dire, elle portait des vêtements de grands créateurs et de petites couturières qui vendaient leurs œuvres sur Etsy, mais ce qu'elle préférait, c'était arpenter les fripes et les brocantes à la recherche d'une pièce avec une âme. Danaé connaissait les marchés et les grandes halles où sa mère négociait des lots de tee-shirts pour des poignées de cacahuètes, elle avait vu le marchandage à l'œuvre. En elle, Mélodie avait trouvé une alliée redoutable.

Ensemble, elles ont formé quelques mois un duo de choc : Mélodie possédait un regard laser, capable de dénicher la fringue qui ferait tourner l'œil de tout le lycée, et Danaé pouvait l'avoir à moitié prix, voire moins, dans les bons jours. Elles ont passé l'été entre la troisième et la seconde à parcourir les rues de Paris et à dépenser l'argent des parents riches de Mélodie. Jusqu'au jour où Danaé a reçu un message de quinze kilomètres de long qui commençait par : « j'en ai gros sur le cœur alors il faut que je te dise tout... »

Siloë lui vomissait son mal-être, elle se sentait délaissée, lui quémandait de l'attention, menaçait de ne plus être son amie si jamais elle continuait. Pour apaiser les tensions, Danaé lui avait accordé une après-midi, puis deux, puis une soirée, une nuit, une semaine. Sans s'en rendre compte, elle ne voyait plus Mélodie. En septembre, elles rentraient dans des lycées différents. Au revoir, Mélodie.

Depuis cet épisode, il y avait eu des centaines d'autres crises de jalousie. Dès que Danaé se faisait des nouveaux amis, prenait un café avec un camarade de classe ou faisait grimper le nombre de flammes à côté d'un pseudo Snapchat, Siloë réclamait la même attention. Pour chaque conversation engagée, Danaé devait parler à Siloë. Pour chaque SMS envoyé, Danaé devait en écrire un à Siloë. Elle pouvait bien avoir cinquante amis, si elle souhaitait, tant qu'elle était cinquante fois plus amie avec Siloë.

Siloë est bizarre. Elle ne parle plus que par monosyllabes. Depuis la soirée, elle s'est refermée comme une huître. Danaé ne cesse de lui demander si elle fait la gueule, mais Siloë lui assure que non, non, t'inquiète. N'empêche, Danaé doute.

Le lendemain de l'après-midi plage avec Jérémie, elles ont visité les alentours avec Rosa et Madeleine. Elles ont fait de la randonnée en forêt, autour d'un lac, sur la route et dans les champs. Elles ont tant marché que Danaé ne plus poser sa plante de pied, sous peine de douleurs atroces à cause des ampoules. Elle se déplace perchée sur les orteils, comme une fée. Durant leurs promenades interminables, Bernard avait pris ses jumelles et s'arrêtait tous les cents mètres pour observer un oiseau. Siloë prenait des photos et Danaé traînait la patte en silence. Au milieu de la nature silencieuse, la seule rumeur provenait des jacassements incessants de Madeleine et Rosa. Et tu te souviens d'untel ? Qu'est-ce qu'il est devenu ? C'est pas vrai ! Lui aussi. Et tu te rappelles notre été à Sainte-Marie-de-la-mer... Ah là, là, ça nous rajeunit pas. Parfois, Bernard lançait un clin d'œil aux filles :

─ Ah, les femmes ! On les aime bien mais on en élèverait pas un troupeau.

─ Eh bien, Bernard, on ne vous dérange pas ? s'insurgeait Rosa.