Chaud

EPISODE 7 : 29°C (#2)

Les garçons se réveillent presque en même temps. Quand les premiers froissements de drap s'élèvent, ils alarment les sens et extirpent les dormeurs de leurs rêves. Quelqu'un se retourne, un autre ouvre les yeux. L'un toussote, le deuxième murmure une connerie qui fait ricaner le troisième. Ainsi est rompu le calme de la nuit.

C'est la version poétique. Celle que Jérémie aimerait retenir. Certains jours sont moins glorieux.

Ils ont changé de places. Sous prétexte de mal de dos, Jérémie a demandé à dormir dans le grand lit. Don a été relégué sur le matelas gonflable. Le déménagement implique un autre détail : il dort avec Ilyès. Ce matin-là, il est le premier réveillé. C'est du moins ce qu'il croit, jusqu'à ce que l'agitation de Don fasse grincer le matelas gonflable. Le pneumatique est percé, il faut le regonfler tous les matins. Quand il est flasque, le moindre mouvement entraîne le son de l'air contre le plastique. Jérémie ouvre les yeux, le volet n'est pas complètement fermé, il discerne le visage d'Ilyès face à lui. La ligne de ses sourcils est paisible. La sérénité le rend d'autant plus beau.

Jérémie a du mal à réaliser. Pourtant, le baiser sur la plage en a appelé à d'autres. Ils sont rentrés ensemble de la soirée. Don avait insisté pour rester, et Ilyès, fatigué, en avait eu marre de se battre. À deux, ils se sont couchés, mais ils n'ont pas dormi. Ils ont discuté jusqu'au lever du jour. Par moments, ils ne parlaient plus, ils s'embrassaient. Cela suffisait.

Jérémie repense à toutes les fois où il a croisé Ilyès dans les couloirs du lycée sans se douter de ce qui l'attendrait l'été suivant. Ilyès était là, sous son nez depuis le début. Il ne l'avait jamais calculé. Il lui avait fallu accepter l'invitation absurde d'un ami d'enfance à partir en vacances à la mer pour véritablement le rencontrer. Et dire qu'il a failli refuser ! Quand Don lui a envoyé à message, Jérémie a fait une liste des excuses pour ne pas venir. Sa mère l'avait poussé, par crainte qu'il ne passe l'été enfermé. « Y aura qui ? » avait enfin répondu Jérémie. « mon frère et moi, y aura peut-être mon poto ilyès ça dépendra sil a un peu de thune, tu vois qui c'est ilyès ? » Jérémie avait dû dire : « Oui, vaguement. » Il avait confirmé sa venue dans l'espoir qu'Ilyès ne viendrait pas, sous peine de rendre la dynamique des vacances morbide. Pour une fois, Jérémie est heureux d'avoir eu tort.

D'un geste doux, il caresse la joue d'Ilyès avec son index. Aussitôt, le garçon ouvre les yeux. Il ne dormait pas. Jérémie sourit dans la pénombre. Un bruit interrompt l'instant, ce n'est pas le matelas qui grince mais ça y ressemble.

─ Pardon les gars, c'est moi, déclare Don.

─ Putain, t'es sérieux ? se lamente Ilyès.

─ Quoi ? Il a fait quoi ?

Jérémie ne comprend pas. Puis l'odeur le prend au nez. Acide et fermentée. Les garçons râlent de dégoût à l'unisson. Ilyès jette son oreiller sur Don.

─ Mec, t'as le cul pourri.

─ Attends, faut aérer.

Don secoue sa couette pour faire courant d'air. Dans la chambre fermée, il ne fait qu'envoyer les relents vers les garçons. Ilyès commence à crier, Don pète à nouveau, Jérémie se pince le nez en riant. Pour les protéger, Ilyès rabat les couvertures par-dessus leurs têtes.

─ C'est l'air marin, fanfaronne Don. Respirez, c'est antioxydant.

─ Ma main dans ta gueule, tu vas voir si elle est antioxydante.

Dans le cocon des draps, la voix d'Ilyès vibre d'autant plus aux oreilles de Jérémie. Ce dernier aperçoit les iris noirs d'Ilyès braqués sur lui, leurs sourires béats fichés sur leurs lèvres se regardent. Sur le matelas, Don fait exprès de faire grincer le matelas pour les embêter. À l'abri, Ilyès se risque à déposer un baiser fugace sur la bouche de Jérémie, comme un bonjour. Il dure moins d'une seconde. Un poids s'écrase sur leurs corps. Jérémie gémit de douleur. Don les découvre, à califourchon sur leurs jambes.