Chaud

EPISODE 2 : 22°C (#4)

Petite, Cyanne a passé de nombreux étés livrée à elle-même. Très tôt, elle est devenue indépendante. Au-delà de gérer un budget, préparer des repas, faire des lessives, elle a appris à s'occuper seule. C'est peut-être de là que lui est venu sa passion pour la nature.

À force de n'avoir rien d'autre à faire que d'explorer le monde, on finit par en tomber amoureux. Observer les fleurs, faire s'accoupler des insectes, collectionner les feuilles... Les occupations ne manquent pas. Au début, sa mère était ravie, sûre de voir dans cette curiosité naïve les graines d'une grande sorcière. « Nous sommes les filles de la Terre. » a entendu Cyanne des milliards de fois. Son intérêt écologique était devenu scientifique, pas spirituel.

Dans ce regard opposé à l'héritage familial, Cyanne a marqué une première rupture avec sa mère. Là où l'une utilisait la valériane en décoction pour soulager ses muscles endoloris, l'autre apprenait à la reconnaître, ses méthodes de propagation, sa nomenclature de reconnaissance. Un même intérêt, deux approches différentes. Avec les années, Cyanne a continué de se passionner pour les plantes. Bac scientifique, licence de biologie végétale, puis la rencontre avec les algues lors d'un voyage d'étude en Bretagne. Le coup de cœur. Une part de Cyanne sait pourquoi elle a tant aimé étudier ces plantes marines : sa mère les abhorre. Elle crie quand une algue l'effleure dans l'océan, elle fait la moue quand elle en croise une sur la plage. Cyanne aime l'idée de posséder un intérêt que sa mère n'a pas. Elle adore la perspective de rejeter son éducation à ce point. Elle est amère, elle le reconnaît. Tant pis. Elle assume.

Quand Cyanne rentre de sa marche, Madeleine et sa mère ont disparu. Ne reste plus que le chat. Les deux se regardent en chien de faïence un moment, pendant que Cyanne lit sous le porche. Elle capitule face au maître de la simulation. Le soleil cogne, elle est fatiguée. Elle décide de faire un somme en attendant le déjeuner. Dans la moiteur du mobile-home, la chaleur forme une étuve qui fait cuire Cyanne à feu doux. À la fenêtre de la chambre qu'elle partage avec sa mère, un rideau en organza plonge la pièce dans une aura rouge. Elle ferme les yeux mais le sommeil refuse de la cueillir. Un fracas se fait entendre dans le salon. Les murs sont des feuilles de papier. Ce doit être le chat qui a renversé un bibelot. Il y en a tellement que c'est inévitable.

Cyanne enfouit son visage dans l'oreiller. Le bruit continue, des objets s'entrechoquent, raclent, tintent. Ce n'est pas le chat. Madeleine et sa mère parleraient, si elles étaient rentrées. Plus Cyanne tend l'oreille, plus une angoisse grimpe au creux de sa poitrine. Un cambriolage a lieu, sans aucun doute. Madeleine vit dans un mobile-home qu'elle ne ferme pas à clé, reclus dans la forêt, autant dire une véritable caverne d'Ali Baba pour les voleurs.

Qu'est-ce que Cyanne doit faire ? Intervenir ? Elle a la trouille. Si la personne est armée, elle risque de se faire tabasser. Encore une fois, Cyanne a beau avoir parfois – souvent – envie de mourir, elle ne veut pas que ça fasse mal. Mais que dira-t-elle à Madeleine à son retour ? « Désolée, je dormais. » Cyanne cherche autour d'elle un objet pour se protéger. Elle ne trouve qu'une brisure de coquillage acérée et une grosse pierre de quartz rose. Sur la pointe des pieds, elle s'approche de la porte, tend l'oreille. Le raffut s'est calmé, le pouls de Cyanne, non. Elle serre si fort le coquillage que les bords lui rentrent dans la peau.

Puis, elle fonce, sans se poser de questions. Elle va peut-être à la mort, mais c'est parce qu'elle a choisi d'affronter le cambrioleur. Le panneau qui sert de porte coulisse dans un grincement et plutôt qu'un voleur, Cyanne se trouve face à un corps recroquevillé, dont la tête a disparu sous l'évier. La pression retombe au point que le coquillage et le quartz lui échappent des mains. La chute contre le lino provoque un bruit étouffé et brut, le plombier sursaute et se cogne la tête contre le rebord de l'évier.