EPISODE 5 : 25°C (#3)

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Deux bières, et Siloë est KO. Au-delà de l'ivresse, l'alcool la plonge dans un état léthargique. Ses paupières s'alourdissent, ses muscles la lancinent, tout son corps lui crie sa fatigue. Elle a fait un effort jusqu'à 2 heures du matin, en se shootant au jus d'orange – avec un peu de vodka – pour garder un semblant de vitalité, mais le sommeil prend le dessus. Jérémie lui a proposé son lit, qui n'est en fait qu'un matelas gonflable posé à même le sol. La chambre des garçons est si petite que le plancher à disparu sous les affaires et les couchettes. Siloë n'a qu'à ouvrir la porte pour déboucher sur le lit, elle s'y laisse tomber dans un souffle, la tête dans l'oreiller. Les draps ont en mémoire l'odeur de Jérémie, un parfum épicé, aux notes de tête de clou de girofle et de bois de santal.

J'éteins ? lui demande Jérémie.

Son gémissement d'accord est étouffé par le coussin. Siloë se souvient être plongée dans le noir alors que le monde se met à tourner. Malgré la fatigue, le sommeil peine à l'emporter. Avec l'alcool, elle a l'impression de tanguer. Des vagues lèchent sa conscience, Siloë reste dans cet entre-deux éveillé. Elle peut réfléchir, mais est incapable de bouger.

Siloë pense que Jérémie l'aime bien. Non, plutôt, Siloë aimerait que Jérémie l'aime bien. C'est un garçon génial. Il est respectueux et à l'écoute, sans être introverti, comme Siloë. Il a une belle élocution et discute de sujets intéressants. L'autre jour, sur la plage, ils ont longuement parlé de la pression à réussir qu'ils ressentaient vis-à-vis de leurs parents. Jérémie a dit quelque chose de pertinent, qui a résonné en Siloë :

J'étais à un stade où avoir des bonnes notes, être un athlète, et avoir des amis, c'était mon identité. J'étais rien d'autre qu'un garçon parfait, qu'un fils idéal. Je ne savais même plus ce que j'aimais, moi. Quand on me demandait mon film préféré, j'en savais rien, je donnais celui de ma mère. C'est fou, j'avais plus aucun moyen d'exister par moi-même.

Voilà. Crush numéro 4. Mince, ils arrivent vite ! Au moins, la balance est désormais équilibrée : deux garçons, deux filles. Pendant la soirée, Jérémie et elle sont restés collés l'un à l'autre. Même pas ! C'est lui qui ne la lâchait pas d'une semelle. Danaé lui a répété que c'était dans la poche, qu'il était déjà amoureux. Fonce, Siloë, lui a-t-elle conseillé, et Siloë a tourné cet ordre dans son esprit pour se donner le courage de le suivre.

Elle ne sait pas comment ça se passe en temps normal, mais dans les fanfictions, la chaleur grimpait quand les personnages devaient partager un lit. En affirmant son envie de se coucher, Siloë a cru bêtement que Jérémie viendrait. Il s'est contenté d'éteindre la lumière. Enfin, c'est son lit. Il finira par venir.

Quand Siloë s'endort, elle a la sensation de nager dans du miel.


Elle se réveille ce qui lui semble être une éternité plus tard. En fait, deux heures à peine ont passé. La chambre est plongée dans la pénombre, Siloë étouffe sous la couette lourde. Son cerveau est embrumé, mais le reste de son corps est en alerte. Sa vessie est pleine à craquer de tout le liquide qu'elle a ingurgité. Siloë passe en mode pilote automatique, elle fait des choix pratiques et pragmatiques : prendre ses lunettes, non, faire le moins de bruit possible, certainement pas. Elle rampe sur son matelas et cherche la poignée de la porte dans l'obscurité. Après ça, première à gauche dans le couloir.

Les toilettes, dans cette maison, sont une curiosité. Siloë a eu le temps de les admirer pendant la soirée, au vu des longues minutes qu'elle a passé à évacuer la bière – elle a une très petite vessie, un fléau quand elle part en randonnée. Sur les murs, le frère de Don a plastifié et collé des coupures de la presse locale, des événements insolites aux faits divers, en passant par le résultat des élections locales. « Un homme est retrouvé mort chez lui. Les pompiers concluent à une intoxication au monoxyde de carbone. » côtoie « Ces villageois montent une association pour aider les chiens errants. » La préférée de Siloë est placardé sur la porte, juste en face de son œil : « Dauphin aperçu dans la baie : que sait-on de l'individu ? » Cette nuit-là, son esprit est trop vaseux pour s'embarrasser de la lecture des journaux. Elle fait pipi en écoutant le sifflet du jet d'urine et lutte pour garder les yeux ouverts.

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant