Chaud

EPISODE 8 : 32°C (#3)

Cyanne n'a pas vu Loup de la journée. C'est comme s'il avait disparu de la circulation. Exceptionnellement, elle a passé la nuit dans la clairière après avoir ramené les deux filles. Voilà presque deux semaines qu'elle n'avait pas dormi sur le matelas inconfortable, avec sa mère. La Rosa est toujours aussi insupportable dans son sommeil, elle bouge, elle ronfle, elle parle. Cyanne s'endort au lever du jour. Quand elle émerge, à 14 heures, le camping-car a disparu.

Son premier réflexe est d'envoyer un message à Loup pour savoir s'il est disponible. C'est sa dernière journée à la clairière. Départ le lendemain matin à 9 heures tapantes. Elle aimerait profiter des heures qu'il lui reste pour aller à la plage, cramer au soleil, se baigner dans une eau trop froide, puis, en début de soirée, se pavaner sur la côte, s'arrêter devant le menu d'un restaurant qui lui fait envie et siffler une bouteille de vin face à la mer. Elle a envie de vivre avec lui ces expériences de couple tranquille, installé dans une routine, qui discutent de leur journée et se plaignent de leur patron.

Cyanne se voit continuer. Elle s'imagine lui rendre visite entre deux semaines de cours, elle se figure l'accueillir dans son appartement d'étudiante, le présenter à ses amis, à sa directrice de mémoire. Elle dirait : « Loup est marin-pêcheur et philosophe, c'est pas commun, et aussi intéressant que vous le pensez. » Elle se voit lui faire découvrir les bars, les cafés, les rues où elle est rentrée soûle à 3 heures du matin. Elle invente un futur proche où elle aurait terminé ses études et où elle viendrait s'installer ici. Elle ne trouverait peut-être pas de travail, mais elle se saurait heureuse.

Loup ne répond pas. Il doit dormir. Les garçons étaient encore en forme à leur départ, ils voulaient aller se baigner au clair de lune. Loup les a sûrement emmenés. Cyanne pose son téléphone dans un coin et trouve une distraction. Madeleine a fait de la confiture, elle l'aide à la mettre en pots. Puis, elle déjeune d'une salade et de quelques noix. 16 heures, Loup n'a toujours pas répondu. Le ciel est nimbé de nuages anthracite. Le vent souffle dans les pins de la clairière. Cyanne va se dégourdir les jambes dans la forêt, le chat la suit.

Très vite, elle retrouve la chaumière de sorcière. Sa curiosité morbide la pousse à y pénétrer. Le cœur de Cyanne tombe dans ses chaussettes quand elle découvre que le cabanon est vide : ni fioles, ni bureaux, ni étagères. Elle cligne des yeux, fouille le paysage autour d'elle. La sensation de déréalisation s'empare de son être. Un instant, Cyanne a le sentiment de ne plus être vraiment là. Ou bien d'avoir basculé dans un monde parallèle.

Elle sort du cabanon, le chat s'est perché sur un poteau en bois. Cyanne l'attrape et le serre contre elle. Il ronronne, le son calme les symptômes. Il n'empêche, où sont passés les meubles ?

De retour au mobile-home, Loup n'a pas répondu. Il est presque 17 heures 30. Les plans de Cyanne pour la soirée s'effritent lentement. C'est étrange, il ne l'a jamais ignorée aussi longtemps. Au contraire, pour un gars peu porté sur la technologie, Loup est étonnement joignable. Cyanne a un mauvais pressentiment, ou peut-être est-elle déjà amoureuse... Dans tous les cas, elle prend les clés de la voiture pour frapper à la porte de chez lui.

Le petit frère ouvre. Cyanne demande :

─ Salut. Où est Loup ?

─ Pas là.

Silence. Don n'en dit pas plus.

─ Tu as une idée d'où il est ?

L'adolescent secoue la tête.

─ Ou de quand il sera de retour ?

─ Non plus.

Ses réponses laconiques désarçonnent Cyanne. Elle bredouille :