EPISODE 5 : 25°C (#4)

1.2K 206 85
                                        

Ce n'est pas que Cyanne ne fait pas confiance à Madeleine pour prendre en charge le cœur brisé d'une adolescente. C'est plutôt qu'elle ne fait pas confiance à Madeleine pour prendre en charge le cœur brisé d'une adolescente.

Cyanne suit le duo dans la forêt sans mot dire, le chat sautille dans son ombre. Entre les buissons sauvages, les pins, un sentier a été tracé par les pas des hommes. Madeleine évolue entre les arbres comme une fée. Sa longue jupe aux motifs psychédéliques se drape sur les ronces, et pourtant, elle ne s'accroche jamais aux épines. Aujourd'hui, ses cheveux blonds – blancs – sont lâchés. Ils remuent dans son dos au gré de ses pas. Dans ce décor de brun et de vert sapin, Madeleine et ses couleurs criardes détonnent. Comme un animal vénéneux, elle semble dire au prédateur : « Mange-moi, je t'empoisonne. » À ses côtés, la petite Danaé – ou Siloë ? L'une des deux, Cyanne a oublié qui est qui – avance prudemment.

La chaussure de Cyanne écrabouille une brindille. Le craquement du bois fait dresser les oreilles du chat. Cyanne et lui se regardent, d'un signe de tête agressif, elle lui adresse mentalement : « Qu'est-ce que tu veux, toi ? »

On n'est plus très loin, affirme Madeleine.

Les trois filles prennent un tournant et quittent le sentier balisé. Entre les troncs, des indices de présence humaine clairsement le paysage. Les mêmes que Cyanne a remarqué lors de sa première entrée dans la clairière : un miroir qui reflète les rayons du soleil, un cierge planté dans l'humus, un linge pendu à une branche. Une cabane en bois sauvage apparaît. La bâtisse ressemble à une chaumière de sorcière, avec la cheminée en tôle biscornue et le chaudron bouillonnant à l'entrée.

Madeleine y invite les filles. Quand elle pousse la porte, les odeurs d'herbes séchées font tourner la tête de Cyanne. L'intérieur de la cabane est minuscule et encombré. L'endroit sert de cabinet de curiosités. Sur les étagères, les livres gondolés par l'humidité côtoient des bocaux de conserves et des pots de confiture. Suspendue au plafond, devant la seule fenêtre, des bouquets de thym et de sauge se dorent la pilule. Dans le fond, il y a un établi qui a disparu sous les bibelots : cristaux, pierres, cartes de tarot égarées. Quelques tubes à essai et erlenmeyers, salis par des traces de doigts et de calcaire, recueillent des liquides noirs, saumâtres. Cyanne vient de pénétrer dans un véritable atelier de sorcière – ou bien dans le fantasme d'une femme atteinte de syllogomanie.

Je vais te donner quelque chose, Siloë.

Elle s'appelle Siloë.

Cette dernière dévisage Cyanne avec confusion. Elle ne réagit pas, curieuse de voir jusqu'où les fantaisies de Madeleine courent. Le chat se frotte à sa jambe, avant de grimper sur un guéridon. Sa queue bat l'air, mais ne touche jamais un objet. C'est là que réside la véritable magie.

Madeleine ouvre les portes d'un buffet et révèle des étagères remplies de flacons. Cyanne reconnaît des algues séchées sur une rangée du bas. Chaque fiole est étiquetée du nom de l'espèce. Les doigts filiformes de Madeleine s'emparent d'une petite bouteille en verre, un liquide rosé luit à la lueur du soleil. Elle l'agite, ouvre son bouchon et sent l'intérieur.

C'est ça, chuchote-t-elle.

Elle le tend à Siloë. La fille le saisit d'une main hésitante.

Une goutte, dans le café du garçon. Plus de problème.

Cyanne écarquille les yeux et arrache le flacon des mains de Siloë.

Qu'est-ce que tu racontes ? Tu n'es quand même pas en train de la pousser à assassiner quelqu'un.

Madeleine reprend la bouteille, et la remet de nouveau à Siloë.

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant