EPISODE 6 : 27°C (#4)

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Grande première, ils ont dormi dans le lit de Loup, et non à l'arrière de la camionnette. Cyanne et lui ont cessé leurs escapades matinales en mer, à la recherche d'un dauphin, d'une sargasse, ou d'un signe du destin. C'est bête, mais quand on est sous le charme, on en oublie les raisons qui poussent à se lever le matin. Les amourettes vous gardent au lit, c'est bien connu.

Cyanne ouvre les yeux dans une chambre baignée de soleil. Loup a des volets et des rideaux, mais dans leur hâte, la veille, ils ont oublié de les fermer. Ils sont rentrés, ont fait l'amour, ont parlé pendant trois heures avant de s'endormir. C'est leur seul programme de ces derniers jours et des jours à venir. Voilà la vraie définition des vacances.

Elle s'étire, ses doigts cognent le lambris posé au mur. Le bois est rugueux, irrégulier. Cyanne aime la décoration brute de la maison de Loup. Les meubles sont en bois massif, les tableaux figurent des natures mortes, les livres ont des reliures en cuir. Les lieux baignent dans leur jus. Le mouvement réveille Loup. Il n'a pas ouvert les yeux qu'il passe un bras autour de Cyanne, pour l'amener contre lui.

Coucou, toi, marmonne-t-elle, encore ensommeillée.

Salut.

Bien dormi ?

Mmh.

Silence, Loup semble se rendormir, la tête nichée dans le cou de Cyanne. Elle sent son souffle sur sa peau. Cyanne profite de la douceur du câlin et de l'effet apaisant qu'il lui procure. Sans s'en rendre compte, elle dépose un baiser sur le front de Loup. Les démonstrations d'affection sont déjà inscrits dans son corps et ses gestes, elle qui, pendant si longtemps, a eu du mal à toucher et se laisser toucher.

Un sourire béat se dessine sur les lèvres de Loup, il dit :

Ce serait génial si quelqu'un nous faisait du café, non ?

Tu veux que j'aille faire du café ?

Oh bah, si tu proposes gentiment et volontairement...

Cyanne rit. Elle va s'extirper des draps quand Loup la retient. Avant de la laisser partir, il lui donne un vrai baiser en guise de bonjour.

Elle foule le sol bétonné du couloir pieds nus. La maison partage des bruits éparses : un robinet qui goutte, une latte de bois qui craque, une respiration perturbée. La chambre des adolescents est ouverte, ils sont rentrés tard dans la nuit. Cyanne jette un coup d'œil. Deux silhouettes dorment dans le grand lit, les draps du matelas sont défaits. Le type qui l'occupe a dû aller courir. C'est apparemment ce qu'il fait tous les matins. Dans le séjour, Cyanne fait réchauffer le café de la veille dans une casserole. Elle manque de se brûler en allumant la gazinière avec une allumette – des années de confort urbain lui ont fait perdre l'habitude.

Sur le plan de travail, un flyer bleu attire son attention. Elle le prend. En grosses lettres noires, il lit : « FÊTE DE LA MOULE ET DE LA SARDINE. 21 juillet. Repas, guinguette, buvette, châteaux gonflables. » Cyanne le repose dans un sourire. Son enfance a été ponctuée de ces fêtes de villages folkloriques. Pendant leurs vadrouilles aux quatre coins de la France, sa mère n'en manquait pas une. Elle y retrouvait des connaissances éparpillées et faisait de nouvelles rencontres. Les fêtes de village sont peut-être la raison de son réseau surdimensionné. C'est certain, la Rosa ira à celle-ci aussi.

Cyanne repose le flyer, le café n'est pas chaud. Pour patienter, elle regarde son téléphone. Au début de son ermitage, elle croulait sous les messages et les notifications. Des demandes de nouvelles, des « ça va », des « je suis là si tu as besoin ». À force d'ignorer les gens, ils cessent de se préoccuper de vous. Ils vous oublient, reprennent le cours de leur vie, et vous n'en faîtes plus partie. Tant mieux, se dit Cyanne. Il n'empêche, elle a un pincement au cœur chaque fois qu'elle se rappelle que personne ne lui envoie plus de message.

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant