EPISODE 8 : 32°C (#1)

1.2K 226 150
                                        


Ilyès est réveillé par la sensation désagréable d'une épine qui s'enfonce dans son ventre. Il remue sa main sur le drap et quand ses doigts rencontrent un objet pointu, il attrape le coupable pour le regarder à la lumière matinale. C'est un pétale de céréale, et à tous les coups, c'est Don qui l'a fait tomber quand il a mangé dans le lit. Ilyès bougonne. En guise de représailles, il lance l'aliment sur la tête de Don, elle percute son front de plein fouet. Le type ne bronche pas, il dort comme un bébé. Ilyès remarque que la place à côté de lui est vide, cette réalisation achève de le réveiller. Il est où, Jérémie ? est donc sa seconde pensée, juste après Putain, Don, tu fais chier. A la réflexion, c'est souvent comme ça qu'il commence ses journées, en songeant que Don fait chier.

Le salon est silencieux, les filles dorment encore sur le canapé. Au milieu, Jérémie s'efforce de ne faire aucun bruit. Il lace ses baskets d'un mouvement énergique, quand il relève la tête et tombe sur Ilyès dans le couloir, il sursaute. Celui-ci chuchote :

Tu vas courir ?

C'est une question, pas un reproche. Pourtant, Jérémie le prend comme tel.

Ça fait longtemps. Puis je... je me force pas, j'en ai envie.

Ilyès n'a rien à dire. Il n'est ni son père, ni son docteur. Il imagine que ce doit être difficile de tout arrêter du jour au lendemain quand on a été sous les projecteurs. Mais quand même... ça l'emmerde de voir Jérémie aller courir. Ilyès a en mémoire ce tragique mois de janvier. Chaque fois qu'il le voit enfiler ses baskets, il a peur qu'il ne rentre pas, et qu'ils le retrouvent claqué sur le bord de la route. Avant, cette idée lui paraissait déjà tragique, mais maintenant, avec tout ce qu'ils ont vécu... ce serait atomisant.

Ilyès retire son tee-shirt de pyjama, le roule en boule et le lance sur Jérémie.

Attends-moi, murmure-t-il.

Quoi ? Pourquoi ?

Je viens avec toi.

Si Jérémie veut courir, Ilyès ne peut pas l'en empêcher, mais il peut s'assurer d'être avec lui en cas de pépin.


Il fait une chaleur suffocante, plus que le reste des vacances encore. Les températures flirtent avec l'indécent, et ce n'est pas encore la journée la plus chaude de l'été. Le lendemain devrait exploser les records. Ilyès attend avec impatience l'orage annoncé en fin de soirée, jeudi. Il en a marre de ne pas dormir, de transpirer comme un bœuf, de prendre des douches inutiles et d'osciller entre un appétit d'ogre et de moineau. Ilyès est un gars de l'hiver.

Ils courent en silence. Non pas qu'ils n'ont rien à se dire, mais parce que Jérémie cavale et sème Ilyès avec aisance. Parfois, il s'arrête pour l'attendre, et trottine sur le bas-côté pour ne pas perdre le rythme. Ilyès vient à sa hauteur, essoufflé, persuadé qu'ils vont s'accorder une pause, mais Jérémie repart aussi sec. Ce mec est increvable. Lui n'est pas endurant, il est puissant. Il peut soulever de la fonte, mais courir un kilomètre sans avoir un point de côté, impossible.

Lorsqu'ils arrivent dans le bourg du village, Jérémie arrête la torture. Ils s'assoient sur un banc public. Ilyès a les jambes flageolantes et le souffle court, Jérémie, lui, sue à peine.

T'es pas fatigué ? s'étonne Ilyès.

Ses mots sont saccadés par l'effort.

J'ai pris un raccourci pour abréger tes souffrances. Normalement, le chemin était plus long.

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant