EPISODE 7 : 29°C (#1)

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Tu te sens comment ?

Danaé et Siloë sont allongées dans leur lit, perchées au-dessus de l'habitacle du camping-car. Les criquets comblent le silence. Si elles tendent l'oreille, elles perçoivent la rumeur et les rires des adultes, dans le mobile-home. Aujourd'hui, Bernard les a emmenées faire de la planche à voile. Les filles sont éreintées, mais lui a encore la force de cancaner auprès des dames. Chaque jour, il leur réserve une activité qui met leurs muscles à rude épreuve. Siloë est courbaturée depuis le deuxième jour. Il le fait exprès, pour les épuiser et avoir sa soirée de libre. Un répit s'annonce néanmoins, son père n'a rien prévu pour la journée du lendemain. Le soir, en revanche, il veut les traîner à la fête du village, celle de la moule et de la sardine. Danaé a tiré une de ces gueules face à la proposition : « Vous allez vous amusez, a-t-il assuré. Vous verrez, c'est typique. » Les filles ne font pas dans le typique. Malheureusement, elles n'ont pas le choix.

Comme Siloë ne répond pas à sa question, Danaé réitère :

Hein ?

Euh...

À mon avis, faut attendre que ça fasse effet.

Les filles fixent le plafond, comme guettant le moindre signe d'un amour foudroyant. Siloë sue à grosses gouttes. Son corps réagit au moindre stimuli, elle a la sensation que sa peau est striée de capteurs. Le souffle de Danaé, les poils hérissés de leurs bras qui se frôlent, leurs orteils qui s'effleurent. Pour se calmer, elle se répète que c'est un ramassis de conneries, ce philtre d'amour. Une part d'elle a tout de même envie d'y croire.

Danaé glousse et murmure :

Ça ressemblait quand même vachement à de la grenadine.

Siloë ricane doucement. Oui, ce n'était que ça : de l'eau et du sirop rouge.

Elles ont mis quelques jours avant de se décider, comme appréhendant les effets de la potion magique malgré leur méfiance. Ce soir-là, Danaé a dit : « Allez, on s'en fout, on le fait. » Pouffant de rire, elles ont versé chacune une goutte dans un minuscule fond d'eau. Elles se sont regardés, ont compté jusqu'à trois avant d'avaler le liquide cul-sec. Siloë ne sait pas à quoi à elle s'attendait. Peut-être a-t-elle regardé trop de films, elle a cru que leurs pupilles se dilateraient, que leur vision se teinterait de rose, que ses mains se transformeraient en guimauve. Rien de tout ça n'est arrivé. Danaé et Siloë sont restées plantées dans le séjour du camping-car, à se regarder dans le blanc des yeux.

Ah, dit soudain Danaé.

Elle laisse sa phrase en suspens, Siloë tourne la tête vers elle.

Non, rien, reprend-elle. J'ai cru que mon cœur s'emballait pendant un moment, mais non.

Siloë rit jaune. Elle n'est pas à l'aise. Elle n'aime pas l'idée de ce philtre d'amour. Elle déteste la perspective que ce n'est qu'un jeu pour Danaé, qu'une activité de vacances. Danaé se redresse en position assise et soupire.

N'empêche, ce serait bien si on pouvait tomber amoureuse l'une de l'autre.

Ah oui ?

L'embarras grimpe, Siloë a peur que le camping-car devienne trop petit.

Ouais. Les mecs, c'est la source de beaucoup de problèmes. Au moins, avec toi, ce serait facile. Enfin, j'imagine que c'est possible de ton côté, c'est moi qui bloque.

Mmh.

Je pourrais être bi, en vrai. Je me suis jamais trop posée la question, mais je pourrais. Tout le monde est un peu bi, en ce moment. Genre au lycée, toutes les terminales sont bis.

ChaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant