chapitre 34 : le monde des hommes

6.2K 486 10
                                    

Deux jours passèrent. Ce matin-là, Elanor se leva après une nuit écourtée par des cauchemars. Le soleil était à peine levé, et les occupants d'Edoras étaient pour la plupart encore endormis. Du coup, le petit-déjeuner n'avait pas encore été servi dans la grande-salle. Mais son ventre gargouillait déjà de faim. Elanor posa sa main sur son estomac pour la énième fois, et grimaça.

Elle se décida à aller faire un tour aux écuries pour passer le temps. Lorsqu'elle sortit, un vent frais lui frappa le visage, et elle vit quelques Rohirims dehors, occupés déjà à donner à manger aux oies et aux poules. De la fumée s'échappait de quelques chaumières, signifiant que ses occupants étaient tous justes levés.

Elanor descendit les marches, et traversa la cour en direction des écuries. Elle entra, et se dirigea vers le fond de l'allée. Par chance, les écuries étaient désertes.

Elle serait tranquille.

Nahar la vit et l'accueillit avec un petit hennissement ravi. Elanor lui caressa l'encolure.

- Almareä Aurë, mellon nin, murmura-t-elle.

Nahar pencha la tête vers elle, et la taquina de son museau. Amusée, Elanor lui ébouriffa la crinière noire au sommet de sa tête.

- Désolé de ne pas être venue hier.

Le cheval mâchouilla le rebord en bois de sa stalle, puis lui lécha la main. Elanor comprit immédiatement le message.

- Toi aussi, tu as faim ?

Nahar frappa du pied contre le sol. Elle se retourna, et regarda tout autour d'elle, cherchant dans les recoins la trace d'un sac d'avoine ou une botte de foin. Elle finit par repérer un petit baquet rempli de céréales, et alla le prendre.

- Voilà mon ami, manges.

Elle tendit le seau à Nahar, et il plongea aussitôt le nez dedans, et commença à manger.

- C'est un très beau cheval que vous avez-là.

Elanor sursauta en entendant la voix masculine et fit volte-face. Nahar hennit, et recula légèrement, effrayé.

- Roi Théoden !

Ce dernier esquissa un sourire d'excuse.

- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire peur.

- Non, c'est moi... je pensais qu'il n'y avait personne à cette heure-là, dit Elanor, le cœur encore battant.

- Il y a toujours quelqu'un dans mes écuries.

Théoden s'avança à sa hauteur. Elanor se tourna de nouveau vers Nahar, et trouva plus facile de poser le seau à ses pieds. Le cheval reprit son repas là où il l'avait laissé.

- Je n'ai jamais pu observer de cheval aussi exceptionnel que celui-ci, dit Théoden en regardant Nahar. Où l'avez-vous trouvé ?

- En Lorien. C'est Dame Galadriel me l'a donnée.

- Dame Galadriel ?

Théoden parut sans voix.

- L'elfe ?

Elanor acquiesça.

- C'est un cadeau inestimable, dit Théoden, impressionné. Elle doit vous tenir en grande estime pour vous avoir offert cette monture. Un cheval se mérite dans notre culture. Le cavalier doit faire ses preuves pour pouvoir le monter. Je me demande si c'est la même chose chez les elfes.

Le roi tendit la main vers Nahar. Le cheval renifla doucement l'homme, puis lui pourlécha les doigts. Un sourire ravi apparut sur les lèvres de Théoden. Elanor en profita pour le dévisager, et eut l'impression de le voir rajeunir de vingt ans. Il était si différent sous cet aspect. Théoden ne lui avait pas adressé des mots très gentils la dernière fois qu'il lui avait parlée, et pourtant il fit naître à cet instant chez elle un sentiment de sympathie.

- C'est un bon cheval. Robuste, élégant et taillé pour la guerre, dit le roi.

- Oui, il l'est.

Théoden tourna son regard vers elle.

- Vous êtes jeune. La vie est devant vous. Pourquoi éprouvez-vous autant d'attirance pour les batailles ? demanda-t-il.

Elanor le regarda et vit une vraie lueur de curiosité et de respect, contrairement à la réprobation qu'elle s'attendait.

- Je n'aime pas vraiment ça, répondit Elanor. Tuer des orques et me battre, cela n'a jamais été dans mes désirs. Je préférerais de loin retourner chez moi, et vivre loin de tout ça.

- Cela est encore possible.

Elanor savait que le roi ne lui souhaitait que du bien. Mais il ne comprenait dans quoi elle s'était engagée, et les enjeux qu'il y avait derrière son retour étaient trop importants. Elle ne pouvait pas fuir. Plus maintenant. C'était trop tard.

Mais Théoden ne savait pas tout ça. Il ne la voyait que comme ce qu'elle était. Une jeune femme, humaine et vulnérable. Il ne se doutait pas de ce qu'elle avait traversée, et la raison pour laquelle elle était là.

Si seulement il savait...

- Pardonnez-moi roi Théoden, mais même si je le voulais, il me serait impossible de retourner chez moi, répondit Elanor.

Elle sentit le roi se figer, et continua sur sa lancée :

- La guerre est partout. C'est elle et les orques qui m'ont éloigné de ma maison. J'habitais en Eriador autrefois, avant que le seigneur Elrond ne me trouve. Je n'étais qu'une serveuse de taverne dans l'auberge de ma famille d'adoption. Je pensais passer le reste de ma vie là-bas, jusqu'à ce que les orques ne m'enlèvent sur la route.

Elanor se tut, repensant aux souvenirs douloureux et traumatisants de sa détention. Théoden avait à présent une expression de surprise sur son visage. Il ne s'attendait surement pas à ces révélations.

- C'est à cause de la guerre que je suis ici aujourd'hui, reprit Elanor. Et c'est aussi parce que j'ai fait une promesse. Je ne resterais pas derrière à me cacher pendant que mes amis se battent et risquent leurs vies. Je me battrais avec eux, jusqu'à la fin s'il le faut.

Théoden la regarda longuement.

- Vous êtes une jeune fille très brave, dit-il. Vous me rappelez beaucoup Eowyn.

Une lueur mélancolique apparut dans les yeux de l'homme, et il resta silencieux quelques secondes. Elanor songea à Eowyn, qui lui avait paru un peu trop intéressée par son armure et son épée. Est-ce que ses soupçons étaient fondés ?

Théoden flatta l'encolure de Nahar, et se tourna de nouveau vers elle.

- Je pense que vos compagnons seraient très attristés s'il venait à vous arriver malheur. J'ai pu sentir leur attachement envers vous. Vous leur êtes spéciale.

Théoden lui sourit, et Elanor sentit une légère chaleur envahir son cœur.

- Un jour vous donnerez la vie, continua-t-il. Le champ de bataille n'est pas un endroit pour une jeune fille. Nous nous battons pour les sauver, pas pour les voir étendues mortes à nos pieds. Il n'y a pas de pire vision à mes yeux que cela, avoua-t-il.

Ses yeux hantés exprimaient sa préoccupation.

- J'apprécie votre compassion, roi Théoden, répondit Elanor.

Elle s'inclina respectueusement. Le roi la regarda encore quelques secondes, troublé, puis sembla juger qu'il était temps pour lui de se retirer.

- Passez une bonne journée, demoiselle Elanor.

Théoden lui fit un dernier signe de tête et s'éloigna vers la sortie, la laissant seule avec Nahar.

Elanor le suivit du regard, et se dit que cette conversation fortuite avait été des plus surprenantes. Le roi n'était pas aussi froid qu'elle le pensait. Il s'inquiétait même de son propre sort, alors qu'il ne lui devait rien. Il était en vérité un homme généreux, mais plein de peur et d'appréhension vis-à-vis de ce qui se profilait.

Legolas lui avait raconté comment il avait été possédé par Saroumane. En y repensant, ce n'était pas très étonnant qu'il soit effrayé par les pouvoirs de Sauron. Qui ne le serait pas ?

Elanor resta encore quelques minutes dans les écuries, puis décida de retourner au palais.

L'envoyée des Valar - livre III (LOTR-Seigneur des Anneaux)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant