Chapitre 3

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Il n'est même pas midi lorsque nous entrons dans la salle de réception tandis que mon chaperon, qui ne me lâche pas les baskets, s'émerveille tout haut de ce que JG nous promet. Jeune homme, la trentaine tout au plus, teint mat et cheveux noirs plaqués en arrière par un gel coiffant, il ne remplit pas tout à fait son costume et perd de suite son assurance face à mon attaque directe :
— Dîtes-moi, vous êtes stagiaire chez Human Potential ?

Sa figure se décompose tandis que je lis sur son badge le nom de Jim Turell. Il m'explique un peu confusément :
— C'est à dire que je ne suis là que pour ce genre d'évènement, en renfort si vous voulez, j'espère bien intégrer l'équipe définitivement dans les prochains mois.

Tout à coup je percute en voyant ses pupilles dilatées, j'ai assez donné pour la flairer illico : la coke. D'ailleurs, pour faire ce job, la cocaïne, c'est bien, on est au plus fort de ses capacités, on abat des montagnes ! Juste gare à la descente. Des images furtives du discours de JG me traversent l'esprit, lui aussi devait avoir sniffer un rail ou deux avant sa conférence. Mais ça, je ne le reprocherai jamais à personne même pas à JG. Afin de vérifier mon intuition, je demande tout bas à Jim :
— Tu peux avoir de la coke ?
Il baisse les yeux, tangue d'un pied sur l'autre, regarde autour de lui, se rapproche de mon oreille pour chuchoter :
— Ouais mais pas ici...

— Bien sûr que non...On verra ça plus tard. Qu'est-ce que tu connais des coulisses de Human Potential ? A part que tu rêves d'y être embauché, d'ailleurs c'est quoi ta motivation ?
— Et bien c'est une boite archi d'avant-garde, qui investit réellement dans la recherche, j'y ai effectué des stages effectivement et comparée à d'autres, je pense sincèrement que c'est la meilleure. Quant à ma motivation, ils payent bien les diplômés comme moi.

— Et les non-diplômés, ils sont payés comment ? C'est quoi leur politique salariale ? Tu peux me donner des éléments ?
— Oui bien sûr, je suis là pour vous faciliter la tâche ...
— Et contrôler l'article que je vais écrire ?

Il me retourne un sourire équivoque avant de me proposer un cocktail au bar. Coupes de champagne à la main, nous grappillons des amuse gueule à chaque fois qu'un serveur tend un plateau vers nous tandis que Jim me balance chiffres et statistiques sur les différents services de Human Potential. Je n'ai pas besoin d'enregistrer tout ça me rassure-t-il, il me remettra un memo à la sortie.

Je jette des coups d'oeil aux alentours et constate qu'ils sont tous là, les représentants du capitalisme, gros industriels, des directeurs de cabinet de ministre, des conseillers, essentiellement des hommes, des personnalités du monde politique et médiatiques, tous à se dévisager avec l'oeil des professionnels. Chacun guette sa proie la plus influente, ruse pour tenter une approche ou glisser un mot. Je laisse en plan mon interlocuteur après qu'il m'a filé son numéro de portable et la promesse de se retrouver dans la soirée.

Je ne l'avais pas reconnue tout de suite. Coupe de champagne à la main, la tête penchée sur son téléphone portable, la femme de JG vêtue d'un tailleur blanc sport, s'est isolée près de la fenêtre et personne ne fait attention à elle. Je me rapproche discrètement tout en me demandant comment je vais l'aborder sans l'importuner.

A ce moment-là, elle relève la tête vers moi, sa figure se liquéfie, la coupe de champagne se renverse sur la moquette et je tends les bras juste à temps pour la recueillir avant qu'elle ne tombe à terre. Avant de la relever, je ramasse son téléphone qui lui a échappé des mains et le glisse dans ma poche. Un serveur a repéré le malaise de Melody et s'avance vers moi :
— Suivez-moi, je sais où nous pouvons l'allonger, je vais prévenir un médecin.

— Très bien, merci, mais vous pouvez m'aider aussi à la transporter s'il vous plaît ?
Melody a beau être d'un petit gabarit, elle pèse son poids ! Ou alors c'est moi qui n'ai plus de muscles à force de ne rien faire et de fumer...

Nous pénétrons dans un bureau et l'installons sur une banquette en cuir rouge qui longe le mur du fond. Le serveur me quitte aussitôt, le bruit de ses pas absorbé par la moquette. Je sors l'I phone de ma poche et même si ce que je fais n'est pas déontologique, je prends le pouce droit de Melody pour l'appliquer sur le bouton et presse dessus. Hourra ! Son empreinte digitale a suffi pour ouvrir le portable et je tombe directement sur la photo qui lui a donné un malaise.

Il y a de quoi ! C'est le torse nu d'un homme jusqu'au sexe, bien moulé dans un caleçon qui ne dissimule rien de sa turgescence. Apparemment, ce serait une photo de JG lui-même ! Malgré trois enfants, ils se la jouent super sexe tous les deux...Wait, wait...

En regardant de plus près, c'est un transfert de photo, elle ne lui était pas destinée en direct. Je laisse Melody dans le bureau après avoir jeté un coup d'oeil à son beau visage qui pour l'instant respire le calme. Je me promène dans le couloir et appelle mon hacker préféré avec le portable de Melody, tout ce qu'il contient n'aura plus de secrets pour lui et donc pour moi.

Lorsque le serveur revient accompagné d'un médecin, je suis auprès de Melody qui vient à peine de se réveiller :
— Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?
— Vous avez fait un malaise, je vous ai amenée ici, je m'appelle Dany Wirth et je suis journaliste et voila quelqu'un qui va vérifier si tout va bien.

Suivi du serveur, je sors pour la laisser seule avec le toubib et patiente dans le couloir. Cinq minutes plus tard, Melody me retrouve tandis que le médecin nous salue d'un geste de la main. Elle lève ses beaux yeux vert vers moi tout en me remerciant.
— Vous êtes journaliste au News-World c'est ça ?
J'acquiesce sans un mot.
— Et qu'avez-vous pensé de la conférence, à part que la longévité ne vous intéresse pas ?
— On va dire qu'il m'en faut plus que ça pour m'enthousiasmer ou plutôt pourquoi ne pas laisser la vie s'éteindre naturellement...

De façon surprenante, elle pouffe de rire et prend mon bras en m'entraînant vers la sortie où je récupère le mémo de Jim à mon attention.
— Et si nous allions prendre un café ? Figurez-vous que j'ai besoin d'un journaliste justement, qui ne soit pas sous l'autorité de JG !

Une fois dehors, Melody dit à son chauffeur d'attendre son retour et le type me lance un regard torve. Nous marchons jusqu'au croisement avec une grande avenue où débute une rue piétonne offrant plusieurs terrasses de standing. Melody hésite avant d'en choisir une un peu plus en retrait que les autres et me propose d'aller à l'intérieur.
— Si c'est pour la discrétion, alors je me passerais de cigarettes...

Assis devant nos cafés et sans que je ne demande rien, Melody m'explique sa vie conjugale. La trilogie de la survie familiale concession-mensonges-promesses est au bout du rouleau. Elle sait parfaitement que JG la trompe tout le temps et elle-même ne s'en prive pas, mais là, il va trop loin. Il envoie des photos de son sexe à une attachée de presse, véridique, elle peut me le prouver, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle s'est évanouie tout à l'heure sans compter toutes les vidéos porno qu'il regarde. Des fois il devient violent, il l'a déjà giflée, il s'est mis à la surveiller et à contrôler tout autour d'elle, elle étouffe, elle n'en peut plus. Et puis JG n'est plus le philanthrope humaniste qu'elle a connu et qui la faisait rêver, c'est un hypocrite, cynique, égoïste qui veut toujours plus de fric. Melody veut divorcer et lui faire la peau...

UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant