META-VIE

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Ce matin, le temps est beau comme tous les jours tandis que j'écarte les rideaux de velours noir de ma chambre et enfile un peignoir de soie.

Dans ma cuisine design, je clique, thé et toasts apparaissent, servis sur le comptoir qui la sépare de mon salon garni d'un canapé et de deux fauteuils en cuir noir Cassina, non en fait, en cuir blanc, et d'une table basse en marbre, non, en fait en bois clair.

J'y porte mon plateau de petit déjeuner et m'installe confortablement avant de le déguster. Je confirme sur mon portable mes rendez-vous de la journée, puis file dans ma salle de bains profiter du Jaccuzzi après m'être douchée.

C'est toujours un moment relaxant où je contemple la mosaïque de style byzantin où des dauphins nagent le long de coraux orangers. J'y ajoute des petits poissons aux couleurs vives et argentées, des étoiles de mer jaunes et des hippocampes. Trop beau !

Une fois séchée dans un drap de bain chaud, j'enduis mon corps d'un lait d'ânesse puis m'assois devant ma coiffeuse et observe mon visage. Un clic sur mon front et mes joues pour les rehausser de fond de teint et de blush, Un clic sur mes paupières, non, pas de fard mauve mais vert et un eye liner noir. Je choisirai le rouge à lèvres lorsque j'aurai fini de m'habiller.

Un clic sur mon dressing et une dizaine de tenues revêt successivement mon avatar dont un tailleur style Chanel, léger, sexy, confortable et pratique qui me va à ravir et que j'adopte de suite avec talons hauts assortis.

Au volant de ma Porsche Carrera que j'adore conduire à toute allure, j'atteins vite la place des Victoires, tout à fait semblable à celle de Paris dans le 1er arrondissement. Après avoir laissé ma voiture aux mains du portier, j'entre dans les studios Panavista, me dirige vers l'accueil où siègent deux hôtesses en uniforme et demande :
— Bonjour, je suis l'actrice Pamela Farecoad, on m'attend pour le tournage du film Kill Kenny, vous pouvez m'indiquer où c'est ?

Les deux femmes me déshabillent du regard cherchant sur ma silhouette et ma bonne mine ce qui a attiré le succès sur moi et pas sur elles. La brune se lève pour m'indiquer de sa main le hall des ascenseurs sur ma droite tout en me scrutant de plus près. J'ai envie de lui proposer ma photo mais m'abstiens.

C'est au troisième étage et à peine suis-je sur le palier qu'un tourbillon humain d'accessoiristes m'entraîne vers ma loge à toute vitesse.
— Pamela, vite, enfilez ça, on vous attend sur le plateau...
— Pamela, ne bougez plus, je dois fixer votre coiffure...
Le metteur en scène surgit affolé :
— Qu'est-ce que vous fichez ? Pamela, suivez-moi je vous prie...
— Oui, dés qu'on me lâchera...

Je le suis jusqu'au bout du couloir, traverse la porte à deux battants pour trouver tout le monde figé sur la scène. L'histoire a tout d'un vaudeville classique : je débarque dans la chambre où mon mari et sa maitresse sont dans le même lit, je ne vais rien dire ni faire jusqu'à la fin du film où je tue l'époux adultère froidement après avoir lentement mûri ma vengeance. Sous les caméras, je joue donc la surprise suivie de la colère avant de m'enfuir épouvantée...

Le chef opérateur crie :
— Coupez ! Super Pamela, c'est dans la boîte !
Une heures plus tard, rhabillée, je sors retrouver mon agent pour déjeuner. Nous discutons des nouveaux contacts qu'il a eus dans la semaine et il me remet trois scénarios à lire qu'il a sélectionnés.

Je rentre à la maison au moment où l'on me livre du champagne et des cartons qui proviennent du traiteur à qui j'ai commandé tout ça pour ma party de ce soir.

On me tape sur l'épaule. Je me retourne pour apercevoir David qui me fait signe d'enlever mon casque :
— Hey ! Erin, c'est l'heure, je vais fermer...
— Oh s'il te plait David, encore un peu...
— Erin, il n'y a plus que toi, il est 4H00 du matin et cet endroit est censé être clos depuis deux heures.

Tandis que David intensifie l'éclairage de la pièce, révélant la quinzaine de tables équipée d'écrans 3D et de fauteuils connectés, je retire la combinaison avec ses branchements d'électrodes, quitte l'application « Live the life you dream[1] » la mort dans l'âme et éteins l'ordi.

Une fois de plus, je ne m'étais pas rendue compte du départ de tout le monde. Quelques canettes jonchent le sol en plus d'emballages de fast food, jetés à la va-vite en plein moment d'excitation.

David me fixe tout en caressant son menton d'une main lorsqu'il m'annonce :
— Erin, tu sais que ta carte expire ce soir...C'est pour ça que je t'ai déjà donné un bonus là...
Je lève vers lui des yeux désespérés et l'implore :
— Ecoute, je te nettoie tout ça dis-je en désignant les saletés par terre et en échange, tu me crédites ma carte pour quelques jours...
— C'est pas comme ça que ça marche Erin, c'est pas moi le patron de ce Cyber café, tout est contrôlé ici...
— Laisse-moi au moins dormir là, j'ai été virée du squat que j'occupais hier...
— Putain Erin, c'est pas mon problème...

Prenant sur moi, je m'entends prononcer :
— Qu'est ce que je peux faire pour toi pour que tu me laisses rester ici ?
— Ah carrément !
Il agite ses bras en signe d'impuissance tout en tournant autour de moi et bougonne :
— Bon, reste-là, mais juste cette nuit et j'éteins tout, compris ? Tu dois être partie à 7h00, c'est l'heure de la femme de ménage. Si elle te voit là, c'est foutu pour toi et pour moi. Et te pointe pas demain sans fric pour ta carte, je pourrais rien faire...
— Merci David, t'es sympa...
— Ouais, c'est ça, répond-il en marchant vers la porte vitrée donnant sur la rue, dont les enseignes envoient une sorte de halo blanc à l'intérieur.

Il ouvre un boitier sur le côté d'où il commande la descente du volet roulant en fer, puis disjoncte l'électricité avant de repasser devant moi et de se diriger vers la porte arrière qu'il me désigne :
— Tu sortiras par là, comme moi...

Il claque violemment la porte et je me retrouve dans le noir complet.
Je sors mon portable dont la lumière me guide vers les toilettes puis tâtonne jusqu'à un coin par terre que je dégage pour m'allonger, installe mon sac à dos sous ma tête et tente de dormir.


[1] Vivez la vie dont vous rêvez


UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant